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Rabbi Na’hman de Breslev et ses contes

Image illustrative de l’article Nahman de Bratslav
Tombe de Rabbi Nahman (Wikipedia) – Rabbi Na’hman de Breslev (né à Medjybij, Ukraine, 4 avril 1772 – mort à Ouman, Ukraine, 16 octobre 1810) disait : « Il est interdit d’être triste » _________________________________________________________________

Arrière petit-fils du Baal Chem Tov, Rabbi Na’hman de Breslev était à la fois le secret et la simplicité, la prière et la danse, la polémique et les contes philosophiques. Il fut le fondateur du mouvement ‘hassidique de Breslev.

L’enfant grandit dans une atmosphère hassidique. Il raconte à ses disciples que, dès l’âge de 6 ans, il se rend régulièrement, la nuit, sur la tombe de son grand-père, le Besht et paie son maître trois pièces, outre son salaire, pour chaque page supplémentaire de Talmud étudiée avec lui, afin de l’encourager à couvrir plus de matière.

Âgé de 13 ou 14 ans, le Rabbin Nahman épouse Sashia, fille du Rabbin Ephraïm de Houssiatyn et acquiert son premier disciple, le Rabbin Shimon (son aîné de plusieurs années) le jour même de son mariage. Il s’installe auprès de son beau-père,  puis à Medvedevka, où il demeure neuf ans. À l’approche de sa vingtième année, il compte de nombreux disciples. Il eut 8 enfants, dont 7 survécurent : Odélé – Sarah – Feiga – ‘Haya – Miriam – une fille morte encore nourrisson, Yaakov, Shlomo Ephraïm.

À l’âge de vingt-six ans, Rabbi Nahman décide de se rendre en Terre d’Israël.  Ayant tout laissé derrière lui, il entreprend le voyage, accompagné du Rabbin Shimon, en 1798, le jour de Lag Ba’omer.

Après avoir été retenu à Istanbul, son navire atteint les côtes de Haïfa la veille de Roch Hachana 1799. Il est reçu avec de nombreux égards par les Hassidim de Haîfa, Safed et Tibériade, où il parvient à apaiser les querelles entre ‘Hassidim et Mitnagdim de Vollynie.

Rabbi Na’hman rencontre Napoléon : Rabbi Na’hman de Breslev et Napoléon – Rencontre à Tibériade …

Puis, il quitte la Terre d’Israël vers Pourim (février ou mars) 1799 et arrive à Medvedevka au début de l’été 1800.

Cette visite marque un tournant dans son enseignement. Il recommande de ne pas citer ce qu’il avait enseigné avant ce voyage et a coutume de dire : « Partout où je vais, je vais en terre d’Israël ».

Après avoir passé deux ans à Zlatopol, Rabbi Nahman s’installe à Bratslav, en Ukraine, en 1802. A cette occasion, il déclare à ses disciples : « Nous avons en ce jour planté le nom des Breslover Hassidim. Ce nom ne disparaîtra pas car mes disciples seront toujours appelés du nom de la ville de Bratslav».

Il fait bientôt la connaissance de Nosson Sternhartz, un prodige de 22 ans habitant la ville voisine de Nemirov. Ce dernier devient son principal disciple et scribe, au point d’être connu sous le nom de Rabbin Nathan de Braslav. Il consigne toutes les leçons de son maître, ses conversations informelles avec les disciples, et les publie avec son propre commentaire.

Son épouse Sashia décède la veille de Chavouot 1807 et est enterrée à Zaslov, le même jour, juste avant le début de la fête.

Le Rabbin Nahman se remarie avec la fille de Yehezkel Trachtenbourg de Brody. Il contracte la tuberculose peu après.  Peu après Souccot 1807,  Rabbi Nahman demeure huit mois à Lemberg. Là, il ordonne de brûler ses enseignements.

À la suite d’un incendie qui détruit sa maison en 1810, le Rabbin Nahman est contraint de quitter Bratslav. Il est hébergé par un groupe de maskilim (Juifs adhérant à la Haskala, équivalent au mouvement des Lumières) d’Ouman.

Des années plus tôt, Rabbi Nahman avait confié à ses disciples qu’Ouman était un bel endroit pour être enterré, du fait de la présence dans le cimetière de la ville de plus de 20 000 victimes juives du massacre d’Ouman, en 1768.

Rabbi Nahman de Bratslav décède à 38 ans, emporté par la tuberculose au quatrième jour de Souccot, et est enterré dans le cimetière d’Ouman.

Il insistait sur l’importance d’Erets Israël : « Il est impossible, pour celui qui veut être un véritable juif, de le devenir sans la Sainteté de la Terre d’Israël », disait-il.

Pour Rabbi Nahman, la joie est primordiale et il faut s’écarter de la tristesse et du désespoir : « La joie est un devoir religieux, au même titre que les autres mitsvot » « La véritable joie est atteinte en ne regardant que ce qu’il y a de bon en nous-mêmes, chez autrui et dans toutes les situations » « Le monde entier est un pont très étroit, l’essentiel est de ne pas avoir peur du tout ! »

La notion du courage est également essentielle chez Rabbi Nahman : « Sois fort et courageux ! » : chaque homme a une mission à accomplir sur cette terre, il doit se renforcer et ne jamais se décourager, s’il ne se décourage pas, D-ieu l’aidera.

(Sources : Akadem – Wikipedia – Chabbad.org)

QUELQUES-UNS DE SES CONTES

LA PRINCESSE DISPARUE – Conte N°1 de Rabbi Na’hman de Breslev

CONTE N°4 de Rabbi Na’hman de Breslev – LE ROI QUI DECRETA LA CONVERTION » 

CONTE N°5 de Rabbi Na’hman de Breslev – LE PRINCE DE PIERRES PRECIEUSES

CONTE N°6 DE RABBI NA’HMAN DE BRESLEV –  » Le roi humble  »

CONTE N°7 DE RABBI NA’HMAN DE BRESLEV – « La mouche et l’araignée »

CONTE N°8 de Rabbi Na’hman de Breslev – Histoire d’un rav et de son fils unique

Le roi humble

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Il était une fois un roi qui avait un sage à son service. Un jour, il convoqua le sage et lui dit :  » Il y a un roi qui se dit très vaillant, homme de vérité et d’humilité (c’est-à-dire un homme honnête et qui ne se vante pas). C’est un héros, je le sais car son pays est entouré par la mer. Sur cette mer voguent des navires armés de canons. Des armées sont embarquées sur ces navires et ne laissent approcher personne. A quelque distance de la mer, sur le continent, on trouve un grand marécage qui entoure le pays et qui est traversé par un petit sentier ou un homme seulement peut passer. Là aussi se trouvent des canons. Si quelqu’un vient déclarer la guerre, on fait tirer le canon. Personne ne peut s’approcher. Mais je ne sais pas pourquoi il se dit homme de vérité et d’humilité. Je veux que tu m’apportes le portrait de ce roi.  »


Le roi possédait en effet les portraits de tous les autres rois. Par contre, aucun roi ne possédait le portrait du roi humble, car ce dernier restait caché aux regards des hommes. Il trônait derrière un rideau, loin de ses sujets.

Le sage se mit en route pour le pays de ce roi et se dit qu’il lui fallait connaître la nature du pays, savoir comment il était gouverné. Comment connaître la nature du pays ? Grâce aux plaisanteries propres à celui-ci. Lorsqu’on veut connaître une chose, il faut connaître les plaisanteries qui s’y rapportent. En effet, il y a de nombreuses sortes de plaisanteries. Par exemple, lorsqu’on blesse quelqu’un par des paroles et lorsque l’autre s’en rend compte, on lui dit alors :  » Je plaisantais « . Ainsi qu’il est dit dans le verset (Prov. 26:18-19) : « Comme un dément qui lance des brandons et des flèches meurtrières, ainsi fait l’homme qui dupe son prochain et dit :  » Mais je plaisantais.  » Par ailleurs, quelqu’un qui veut vraiment plaisanter, peut néanmoins blesser l’autre par ses paroles. Il existe ainsi plusieurs sortes de plaisanteries.

Parmi tous les pays, il s’en trouve un qui inclut tous les autres pays, qui est le principe et la règle qui les régissent tous. Dans ce pays, se trouve une ville qui inclut toutes les villes du pays. Dans cette ville, on trouve une maison qui inclut toutes les maisons de la ville. Dans cette maison-là vit un homme qui inclut toute la maison … Et il y a un individu qui fait toutes les farces et toutes les plaisanteries du pays tout entier.


Le sage se rendit dans le pays du roi humble en emportant beaucoup d’argent. Il remarqua qu’on s’y raillait et qu’on y plaisantait beaucoup. Grâce aux plaisanteries, il comprit que le pays était plein de mensonge. Il vit comment on se moquait des gens, comment on les dupait en affaires. Lorsqu’un procès avait lieu au tribunal, tout n’était que mensonge et corruption. Il se rendit auprès d’une cour supérieure, et là aussi, le mensonge triomphait. On s’y raillait et on y plaisantait à propos de tout. Le sage comprit par ces plaisanteries que le pays était rempli de mensonge et de roublardise, et que la vérité y était absente.
Il entreprit de faire du commerce dans ce pays, et se laissa duper. Il fit un procès devant les tribunaux où régnaient le mensonge et la corruption. Aujourd’hui il graissait des pattes ; le lendemain, on ne le connaissait pas. Il se présenta devant une instance supérieure ; là aussi on ne trouvait que le mensonge. Il finit par se rendre au sénat ; là encore, mensonge et corruption. Alors, il se présenta devant le roi.


Lorsqu’il fut en sa présence, il lui parla ainsi :  » Sur qui règnes-tu ? Tes sujets, petits et grands, ne connaissent que le mensonge. La vérité est absente « . Il lui décrit la duplicité qui se manifestait dans le pays.


L’entendant parler, le roi humble inclina son oreille vers le rideau, afin de saisir ces paroles. Il s’étonna beaucoup qu’il se trouvât un homme qui connût toute la duplicité du pays. Quant aux ministres, ils entendirent le discours du sage et en conçurent une grande colère. Le sage, lui, continuait à dénoncer l’hypocrisie du pays.


Il disait :  » On pourrait même dire que le roi est à l’image de ses sujets et que lui aussi aime le mensonge. Cependant, c’est tout le contraire ; on voit bien que tu es un homme droit, et que tu es loin de tes sujets, car tu ne peux tolérer le mensonge qui règne chez toi « .


Et il se mit à chanter les louanges du roi. Etant donné que le roi était très humble et que  » partout où tu trouves sa grandeur, tu trouves aussi son humilité  » (Megillah 31a), et parce que les humbles sont ainsi faits que plus on les loue, plus on les exalte, et plus ils se font petits et humbles, le sage ayant si grandement loué et exalté le roi, ce dernier atteint une humilité et une modestie extrêmes, jusqu’à n’être plus rien.


Il ne put se retenir, rejeta le rideau de côté afin de voir le sage et savoir qui était celui qui savait et comprenait tout cela. Le visage du roi fut dévoilé. Le sage le vit, en fit le portrait et le rapporta à son roi.

Rabbi Na’hman de Breslev

(Source : Israël Star News)

3 histoires autour du caroubier

L’histoire de Honi Hameagel – Planter aujourd’hui non pour soi, mais pour ses petits-enfants

Un caroubier dans l'Assif Widkennt.                                                       caroubier (photo panoramio) ______________________________________________________

Au temps jadis vivait, en terre sainte, un homme pieux, le savant Honi. Les gens révéraient sa sainteté et D.ieu, qui l’aimait, Lui aussi, exauçait tous ses vœux, écoutait chacune de ses prières. Une année, une grande sécheresse s’abattit sur le pays. Le ciel restait clair, pas la moindre goutte de pluie ne venait rafraîchir le sol aride.

– « Que va-t-il advenir de nous ? » se lamentaient les Juifs. Si cela continue, le blé ne lèvera pas et nous mourrons tous de faim.

Emplis de crainte et de désarroi, ils se rendirent chez Honi :

– « Honi ! » s’écrièrent-ils, « toi seul peux nous sauver. Demande à D.ieu de nous envoyer la pluie. »

Honi acquiesça d’un signe de tête et sortit dans la rue. A l’aide d’un bâton, il dessina dans la pousière un cercle et, se plaçant en son centre, il s’exclama :

– « Seigneur ! Sache que je ne quitterai pas ce cercle, que la pluie ne soit venue l’effacer. Je Te prie de la faire tomber et de ne pas laisser Ton peuple dans la détresse. »

A peine Honi avait-il fini de parler que des nuages dans le ciel virent masquer le soleil brûlant. Un vent violent se leva et, avant que quiconque ait pu réagir, une pluie torrentielle se mit à tomber. Honi regarda le cercle qu’il avait tracé sur le sol s’effacer sous l’ondée et, lorsqu’il eut complètement disparu, il retourna chez lui satisfait. A partir de ce jour, les gens ne l’appelèrent plus autrement que Hameagel, ce qui signifie « Celui qui dessine des cercles », et la renommée de Honi ne cessa de grandir.

Après l’averse, la terre se mit à revivre. Les champs et les jardins verdoyèrent, l’air s’emplit de parfums et l’on eût dit que les gens eux-mêmes s’épanouissaient : ils recommençaient à rire et leurs chants s’élevaient de nouveau dans le pays. Un matin, Honi monta sur son âne afin d’aller admirer la campagne. Il se trouvait déjà fort loin de la ville lorsqu’il aperçut un vieux paysan qui plantait un arbuste.

– « La paix soit avec toi, noble vieillard« , dit Honi en le saluant. « Quel arbre plantes-tu là ? »

– « Un caroubier, qui nous donne son pain« , répondit le vieil homme.

– « Et dans combien de temps se montreront les premier fruits ? »

– « Dans 70 ans. »

Après un instant de réflexion, Honi reprit :

– « J’apprécie, certes, ton travail, mais je ne le comprends point. Nous ne savons même pas ce qu’aujourd’hui nous réserve, et toi, tu t’occupes de demain. Pourquoi te donner tant de mal ? »

– « Je ne suis pas aussi savant que toi, répondit le vieillard, et ma réponse est simple : je ne fais que répéter après mes ancêtres une chose qu’ils faisaient et que je trouve bonne. Les arbres qu’ils ont plantés m’offrent encore des fruits, c’est pourquoi je plante à mon tour des arbres qui, un jour, réjouiront mes petits-enfants. »

– « D.ieu seul sait si tu as raison« , lui dit Honi, « mais une chose est sûre : tu as déjà suffisamment travaillé dans ta vie. Il ne te reste pas beaucoup d’années, tu ferais donc mieux de te reposer. »

Sur ces mots, Honi prit congé du vieillard et poursuivit son chemin. Il était juste midi. Comme il avait grand faim, Honi prit son fouet et mena son âne vers une caverne rocheuse qui se trouvait à proximité et dont l’ombre semblait l’inviter au repos. Il attacha l’animal au-dehors et alla s’asseoir seul à l’intérieur de la caverne. Au moment où il sortait le pain de sa sacoche, son corps fut pris d’une grande faiblesse, telle qu’il n’en avait pas encore jamais ressentie. Ses mains et ses pieds s’alourdirent, comme si d’énormes pierres les eussent plaqués au sol, ses yeux se fermèrent tout seule et Honi, sans même être conscient de ce qui lui arrivait, sombra dans un profond sommeil. Il dormit très longtemps, et ne put ainsi voir l’entrée de la caverne se couvrir d’un lierre touffu, dont les surgeons poussaient de plus en plus vite. Ils arrivèrent bientôt jusqu’à Honi qu’ils encerclèrent de la tête aux pieds dans un filet étanche. L’endroit fut plongé tout entier dans le silence. Un étrange enchantement sépara la caverne du reste du monde et l’esprit du sommeil qui y régnait ne fut troublé ni par les chants des oiseaux ni par le souffle du vent.

Des années s’écoulèrent, personne ne savait où était Honi ni ce qu’il était devenu. Son fils grandit, puis se maria, sa femme mourut, et les amis du savant oublièrent peu à peu son allure et sa voix. D’autres jours se succédèrent, qui devinrent des semaines, des mois, des années, et les gens continuaient de naître et de mourir. Mais Honi ne revenait pas et seuls les rabbins versés dans la sainte doctrine se souvenaient encore de lui.

Un jour enfin, le lierre qui entourait Honi se dessécha. Le filet qui entourait le corps du savant tomba en poussière et celui-ci s’éveilla. Il sortit de la caverne pour retourner en hâte chez lui, mais au lieu de l’âne, il ne trouva plus qu’un petit tas d’os.

– « Que s’est-il donc passé ? » pensa-t-il, perplexe.

Jetant un coup d’oeil autour de lui, il ne reconnut rien. Sur l’emplacement des champs poussait un bois, sur celui du vignoble s’étendaient des jardins. Il n’y avait nulle part âme qui vive, si ce n’est un homme, un peu plus loin, qui ramassait les fruits d’un grand arbre. S’approchant de lui, Honi s’aperçut que son panier était plein de cosses de caroubes.

– « La paix soit avec toi« , dit-il en saluant le paysan. « Je vois que tu récoltes le fruit de ton travail. »

L’homme considéra Honi avec étonnement :

– « Tu sembles sage« , lui dit-il, « mais tes paroles sont insensées. Ne sais tu donc pas que le caroubier ne donne des fruits qu’au bout de 70 ans ? Cet arbre a été planté par mon grand-père. Il ne vit plus depuis longtemps et, pourtant, comme tu le vois, son travail n’était pas vain. »

Honi sentit son coeur se serrer.

– « J’ai dormi 70 ans ! » pensa-t-il avec effroi. « Que faire maintenant ? A qui vais-je pouvoir m’adresser ? »

Il se dirigea vers la cité où il vivait jadis, mais ne retrouva ni sa maison, ni la rue où elle s’élevait.

– Ne connaissez-vous pas le fils de Honi ? demanda-t-il aux gens. Mais tous secouaient la tête négativement. Enfin, après de longues recherches, il rencontra une vieille femme qui put lui répondre : – « Le fils de Honi est déjà mort, et c’est son fils qui gère son bien. Tu peux aller le voir. »

Honi se fit indiquer le chemin et arriva bientôt à une demeure qu’il reconnut avec peine pour sa maison natale. Un homme de haute stature vint au-devant de lui.

– « Que désires-tu ? » s’enquit-il.

– « Je suis le père de ton père, répondit Honi. Durant 70 ans, je suis resté dans une grotte sous la puissance d’un envoûtement, mais le charme est levé et je reviens chez moi« .

L’homme toisa Honi d’un air soupçonneux : – « Si tu veux un morceau de pain, tu peux le dire sans détours, inutile d’inventer des histoires absurdes« ,  répliqua-t-il sèchement. « Attends-moi, je t’apporte quelque chose à manger. »

Honi rougit d’humiliation et ses yeux s’emplirent de larmes. Il se détourna sans mot dire et reprit son chemin. « Mon petit-fils ne me connaît pas« , pensait-il amèrement, « mais les savants n’auront sans doute pas oublié mon nom. » Jetant un coup d’oeil autour de lui, Honi constata qu’il se trouvait justement devant la synagogue. Il y entra et aperçut un groupe de rabbins étudiant les Ecritures :

– « Vous qui connaissez la Loi d’Israël« , dit-il aux hommes, « permettez-moi de me pencher avec vous sur les mystères de l’enseignement divin ! »

Les rabbins accueillirent Honi dans leur cercle et ils poursuivirent ensemble leur étude. Honi les dépassait tous par ses connaissances, personne ne se montrant aussi docte :

Tu es aussi sage que l’était à son époque Honi Hameagel« , dit le rabbin le plus âgé en le louant.

– « Mais je suis Honi ! s’écria le savant tout joyeux. Vous ne me reconnaissez donc pas ? »

Les rabbins se détournèrent de lui :

– « Pourquoi ce mensonge ?  » firent-ils tristement. « Ton savoir ne te suffit pas, tu réclames également les honneurs des saints ? »

Alors, Honi quitta les lieux encore plus affligé qu’il n’y était entré.Il erra dans les rues, à la recherche de ses amis et de ses connaissances, mais tous étaient morts depuis longtemps. Les gens passaient à côté de lui indifférents, il ne se trouvait personne pour le saluer ou le convier à sa table. Honi se retrouvait seul, plus solitaire qu’un étranger perdu dans quelque pays lointain.

– « Si je ne connais personne et si personne ne me connaît« , soupira-t-il tristement, » à quoi me sert mon savoir ? Le vieillard qui plantait le caroubier pour ses petits-fils était bien plus heureux. Il vit à présent dans leur mémoire, ils se souviennent de lui avec amour. Mais moi, je suis parfaitement inutile. Mon petit-fils ne me reconnaît pas, et les savants me prennent pour un imposteur. Pourquoi donc, Seigneur, continuerais-je à vivre ? »

Soudain, Honi ressentit une grande fatigue et eut envie de se reposer. Il sortit de la cité et marcha sans arrêt, jusqu’à ce qu’il retrouvât le rocher connu. Pénétrant dans la caverne, il s’étendit sur la terre, épuisé, et mourut. Ainsi, D.ieu avait-il exaucé son dernier voeu, et le lierre qui cacha le corps de Honi, plus jamais ne disparut de la caverne.

(source Contes juifs racontés par Leo Pavlat – Editions Gründ)

Pour lire des contes juifs, cliquez ici : PETITS CONTES JUIFS  

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Un caroubier et une source

(Talmud, Chabbat 33b)

Rabbi Yehouda, Rabbi Yossi et Rabbi Chimone étaient assis non loin de Yehouda, un fils de prosélytes. Rabbi Yehouda entama la discussion en observant :

– «Quel raffinement dans les œuvres de ce peuple (les Romains) ! Ils ont construit des routes, des ponts. Ils ont érigé des thermes».

Rabbi Yossi resta silencieux. Rabbi Chimone bar Yo’haï répondit :

– «Tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait pour leur propre bénéfice. Ils ont construit des marchés et y ont placés des prostituées, des bains, pour s’y rajeunir, des ponts pour lever des péages pour eux».

Yehouda, le fils de prosélytes alla rapporter leur conversation et ces propos arrivèrent aux oreilles du gouvernement. Ils décrétèrent :

– «Yehouda, qui nous a loués sera loué. Yossi qui est resté silencieux sera exilé à Sephoris. Chimone qui nous a critiqués sera exécuté».

Rabbi Chimone, accompagné de son fils, partit se cacher dans la salle d’étude. Sa femme leur apporta du pain et un broc d’eau et ils dînèrent. Quand les menaces devinrent plus sévères, ils s’en allèrent se cacher dans une grotte.

Un miracle se produisit et un caroubier et une source d’eau vive furent créés pour eux. Ils enlevèrent leurs vêtements et s’assirent, enfouis dans le sable jusqu’au cou. Ils étudiaient tout le jour. Quand venait le moment de prier, ils se couvraient, priaient et enlevaient à nouveau leurs vêtements pour ne pas qu’ils s’usent. Ils restèrent ainsi douze ans dans la grotte.

Et puis vint Eliahou le Prophète. Il se tint à l’entrée de la grotte et s’exclama :

– «Qui informera le fils de Yo’haï que l’empereur est mort et que le décret est annulé ?». C’est ainsi qu’ils purent émerger de la grotte.

Ils virent alors un homme qui labourait et semait. Ils s’écrièrent :

– «Ils ont abandonné la vie éternelle et se sont engagés dans la vie temporelle !». Et tout ce sur quoi ils jetaient les yeux prenait immédiatement feu.

Un écho descendit des cieux qui annonça :

– «Etes-vous sortis pour détruire Mon monde ? Retournez dans votre grotte !»

Ils y retournèrent et y vécurent encore douze mois, en disant :

– «La punition pour les impies au Guéhinom (l’enfer) est limitée à douze mois».

Un écho céleste se fit entendre qui disait :

– « Sortez de votre cave ! »

Et désormais, tout ce que Rabbi Eléazar détruisait (avec son regard), Rabbi Chimone le réparait. Rabbi Chimone dit à son fils :

– «Mon fils ! Toi et moi sommes suffisants pour le monde».

La veille du Chabbat, avant le coucher du soleil, ils virent un vieil homme tenant entre ses mains deux bouquets de myrte et qui courait.

– «A quoi sert cela ?» lui demandèrent-ils ?

– «Ils sont pour honorer le Chabbat» répondit le vieillard.

– «Mais un seul te suffirait ?» demandèrent-ils ?

– «L’un est pour «rappelle-toi le jour du Chabbat» et l’autre pour «garde le Chabbat».

Rabbi Chimone dit à son fils :

– «Regarde combien sont précieuses les mitsvote du peuple d’Israël !».

Et c’est ainsi que leurs esprits retrouvèrent le calme.

(Source texte et image : Chabad.org)

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La grosse pierre et le vieux caroubier, par Sylvain Benattar

Comme toutes les histoires extraordinaires, celle-ci mérite d’être connue.

C’était il y a bien longtemps, bien avant qu’un certain Jules Grévy  ne signât un célèbre « Traité » l’autorisant à s’interposer en protecteur dans cette contrée « inexplorée » de l’autre coté de la mer,  au cœur d’un tout petit village, bordé de collines et de champs d’oliviers, proche de la grande Médina,  vivait une modeste famille juive, dans une spacieuse maison traditionnelle blanchie à la chaux où résidaient également dans une harmonie de tolérance et de respect mutuel, plusieurs autres familles arabes simples, croyantes et laborieuses.

Le propriétaire de cette maison s’appelait Hattab ben Mazri el Koutteiri, père de nombreux enfants, riche cultivateur grand et jovial qui tortillait ses énormes moustaches avec fierté et en toutes circonstances, ne manquait jamais de saluer ses locataires avec chaleur en se réjouissant que tout se passe bien et que les problèmes de coexistence étaient rares entre eux.

Egalement propriétaire de nombreux oliviers, il habitait à la lisière du village juste à coté du vieux caroubier dont il disait qu’il avait été planté par le père de son grand-père.

A cet endroit, se trouvait une énorme pierre patinée par le temps qui servait à la fois de « frontière » et de lieu de repos.

Mardouk ben Shimon était un petit artisan vif et actif qui subsistait avec plus ou moins de réussite de sa petite échoppe sur la place du marché de terre-battue où il s’était forgé une bonne réputation de réparateur en tout genre grâce à son esprit inventif et une intuition innée du bricolage.

Rien ou presque ne pouvait distinguer à cette époque un juif d’un arabe ! Dans ce souk très animé et bruyant, où toutes les odeurs et les couleurs se confondaient, Mardouk se plaisait à porter avec fierté les mêmes vêtements de laine et de coton amples et bigarrés, les mêmes babouches de cuir et son inséparable chéchia rouge qu’il posait à l’arrière du crâne laissant apparaître un front largement dégarni, quelques touffes de cheveux bruns  et rebelles sur les cotés et deux petits yeux noirs et ronds en perpétuel mouvement… Lire la suite ici : La grosse pierre et le vieux caroubier, par Sylvain Benattar | Harissa

Le conseil paternel

Dans une ville résidentielle connue pour ses mosquées et ses synagogues, vivait autrefois un vieux Juif avec son fils unique. Il avait fait de lui un jeune homme pieux et le garçon étant aussi charmant qu’habile, il devint intendant au palais du sultan. Il arrangeait la table, apportait les plats au souverain et à sa famille, versait le vin et contrôlait la préparation des mets.

Le jeune homme gagna bientôt la faveur du sultan, et le vieux père se réjouit du bonheur de son fils. Mais leur joie à tous deux fut de courte durée. Le père tomba malade, et devant les visages désolés des médecins, il comprit qu’il ne guérirait plus. Il fiat alors venir son fils et lui dit :

– « Je vais bientôt mourir et tu resteras seul au monde  Je ne me fais pas de souci pour toi ; cependant, si tu veux vivre longtemps, souviens-toi de ces deux principes : si tu passes devant une synagogue et que tu entends des gens prier à l’intérieur, entre et joins-toi à eux. Et, quand tu es dans la maison de D.ieu, attends toujours la fin de la prière. » Puis, le père serra son fils dans ses bras et peu après, rendit le dernier soupir.

En signe de deuil, le jeune homme déchira son châle de prière et, après l’enterrement, il ne quitta pas sa maison 7 jours durant, selon la loi ancestrale. Au bout d’une semaine, il revint au palais. Mais un seul regard en direction du sultan lui suffit pour comprendre que, dans les jours précédents, quelque chose de grave était arrivé. Le sultan considérait son intendant d’un air assombri, et celui-ci essayait en vain de trouver ce dont il avait pu se rendre coupable. Le jeune homme ne se doutait pas que, pendant son absence, le vizir l’avait calomnié, faisant accroire au souverain que le jeune homme voulait l’empoisonner. De ce jour, le sultan se mit à haïr son intendant. Il ne supportait plus sa présence, le soupçonnait de mauvaises intentions, l’obligeait à goûter chaque mets et chaque boisson et le fit même suivre discrètement.

Un jour, le sultan se promenait dans les environs de son palais. Il avait lâché la bride de son cheval, pour le laiser trotter librement, et se retrouva ainsi devant un fou à chaux où ses sujets brûlaient de la calcite. Le sultan les observa un instant, lorsque son inimitié lui souffla une idée. Il fit appeler l’aîné des chaufourniers pour lui dire :

– « Demain matin un messager viendra te voir. Je veux que tu le jettes immédiatement dans ton four ardent. »

L’homme promit d’exécuter l’ordre et le souverain regagna le palais. Pendant que le jeune homme le servait, le sultan lui ordonna :

– « Tu te rendras demain matin au four à chaux où tu demanderas à voir l’aîné des ouvriers. Tu lui diras :- « Le roi te rappelle de ne pas oublier ta promesse. Tu partiras de bonne heure, je n’aurai pas besoin de toi pour déjeune le matin. »

S’étant incliné devant son souverain, le jeune homme alla se reposer, afin de se réveiller tôt le lendemain. Mais il fut long à s’endormir. Quelque chose oppressait sa poitrine et un horrible pressentiment tournentait son esprit. Le vizir, en revanche, passa une nuit très joyeuse. Le sultan lui avait révélé la façon dont il comptait se débarrasser de son intendant, et le vizir fêtait à l’avance la mort du jeune homme. Il se fit apporter quantité de vins et les femmes de son harem dansèrent pour lui jusqu’à l’aube.

Dès son réveil, le garçon enfourcha son cheval et se mit en route. Il galopait déjà depuis longtemps, lorsque lui parvint soudain la voix mélodieuse du chantre récitant la prière matinale dans une synagogue des environs de la ville. Le garçon arrêta son cheval. « Je vais suivre le conseil de mon père et aller prier avec mes frères« , se dit-il. « Ensuite je me hâterai de transmettre le message du sultan. » Il entra dans la synagogue et n’e sortit que lorsque les hommes eurent prononcé le dernier amen et commencé à plier leur taleth, leur châle de prière.

Alors que le garçon priait, le vizir, lui, était encore ivre du vin de la nuit passée. Dans sa haine, il n’en pouvait plus d’attendre la mort de l’intendant et décida finalement d’aller le voir périr. Il fit seller son cheval et galopa à bride abattue jusqu’au four du chau-fournier, où il arriva avant le jeune homme.Il jeta un coup d’oeil autour de lui, mais n’apercevant nulle part le cheval du garçon, il fit appeler l’aîné des ouvriers.

– « J’espère que tu n’as pas oublié l’ordre du sultan« , lui dit-il.

Le vizir n’avait pas plus tôt pronocné ces paroles que le chaufournier le saisit par la taille et, en un tournemain, il disparaissait dans le four ardent. Le jeune homme arriva à cet instant.

– « Qu’as-tu fait ? » s’écria-t-il à l’adresse du chaufournier. « Pourquoi as-tu tué le vizir ? »

– « Ne sois pas étonné, » répondit l’ouvrier ». « Le sultan m’a ordonné de jeter immédiatement dans le four le messager qu’il m’enverrait. Je n’ai fait qu’obéir. »

En l’entendant, le garçon frissonna d’horreur. « Quel terrible sort le sultan m’avait préparé, pensa-t-il. Si je n’avais pas suivi le conseil de mon père et que je ne me fusse pas arrêté à la synagogue, j’étais perdu. « Il retourna au palais, gagné par le découragement et le doute, afin de se présenter devant le sultan.

– « Comment se fait-il que tu n’aies pas obéi à mon ordre ? » s’écria celui-ci en l’apercevant.

– « Je t’ai obéi en tout point, répondit le jeune homme d’une voix sourde, mais le vizir est arrivé sur place avant moi, et le chaufournier l’a jeté dans le four. »

Un silence suivit ces paroles. Le sultan gardait les yeux rivés à terre.Il dit enfin: – « Un mauvais esprit s’était emparé de moi quand j’ai cru le vizir qui racontait que tu voulais m’empoisonner. Il désirait ta mort, mais il a payé pour sa haine. Au lieu de se réjouir de te voir périr dans le four, il a été puni lui-même. Je ne doute plus maintenant de ta loyauté, et je souhaite que tu continues à me servir avec le dévouement qui fut le tien jusqu’à présent. »

(source Contes juifs racontés par Leo Pavlat – Editions Gründ)

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Un rêve bien réel

Rabbi Isaac Louria, dit « le lion » (Jérusalem 1534 – Safed 1572). Rabbi Isaac Ashkenazi de Louria, rabbin et cabaliste, est considéré comme le penseur le plus profond du mysticisme juif et comme le fondateur de l’école cabalistique de Safed. Isaac Louria Ashkenazi est connu sous le nom de Ha Ari, « le lion », abréviation de Ha-Elohi Rabi Ytshak, « le divin Rabi Isaac ». Il descend par son père des Ashkenazi, originaires d’Allemagne ou de Pologne et des France par sa mère. Isaac Louria a été formé en Egypte, notamment auprès du cabaliste espagnol David ben Salomon ibn Abi Zimra (1479-1573/1589).

La célèbre ville arabe du Caire comptait jadis de nombreuses synagogues. Il y en avait de grandes et de plus petites, certaines possédaient des colonnes de marbre, d’autres des planchers de bois, mais toutes gardaient en commun une chose : quand sonnait l’heure de la prière, elles se trouvaient si remplies, que les Juifs avaient peine à se prosterner devant leur D.ieu sans se pousser les uns les autres.

Isaac Louria appartenait à ces hommes de grande piété. Il ne manquait jamais une oraison de sorte que, même quand la synagogue était pleine, personne ne venait occuper son siège. Une fois pourtant il trouva à sa place un inconnu. Contrarié, il s’assit à son côté et ouvrit son livre de prières, lorsqu’il fut saisi d’une étrange curiosité. Se penchant vers l’homme, il s’aperçut que le livre qu’il tenait était plein d’obscures énigmes.

Louria oublia tout ce qui l’entourait. Il se plongea dans les étranges symboles et pénétra, mot par mot, phrase par phrase, dans les mystérieux commentaires ; ainsi ne remarqua-t-il pas que l’oraison était finie depuis longtemps : tous les gens étaient partis et à la place de l’étranger, il ne restait que le livre ouvert.

A dater de ce jour, Louria changea. Il quitta la ville pour s’installer dans une petite maison au bord du Nil, où il se consacra nuit et jour à l’oeuvre ésotérique. Personne ne savait que c’était un messager de D.ieu qui la lui avait apportée, et personne ne se doutait non plus que, dans la nuit, l’âme de Louria s’élevait dans les hautes sphères célestes. Là, elle s’instruisait auprès des Sages disparus depuis longtemps, et lorsqu’au matin elle regagnait son corps saint, Louria révélait de grands mystères. Les Juifs bientôt vinrent à lui de tous les horizons, et Louria lisait dans leur visage comme dans un rouleau de parchemin : il savait ce qu’ils avaient fait au cours de leur vie et ce que l’avenir leur réservait, et distinguait au premier coup d’oeil les bons et les méchants.

Une fois, peu avant le début du Chabbat, jour de repos, Louria aperçut 4 voyageurs venant vers sa maison. Ils marchaient avec peine, comme après un long voyage, et leur visage était sombre. Louria sortit sur le seuil. Dans sa simarre blanche qu’il portait pour accueillir le Chabbat, il rayonnait, tel un ange qui viendrait de descendre sur terre. En l’apercevant, les voyageurs s’arrêtèrent, emplis de crainte. Mais, avec un sourire bienveillant, Louria leur dit :

– «  Qu’est-ce qui vous amène ? Confiez-moi votre souci avant le saint Chabbat, que vous le passiez dans la joie et la paix. »

– « Comment pourrions-nous nous réjouir ? gémirent les hommes. Nos coeurs sont affligés, et le Chabbat ne fait que nous rapprocher du jour de notre anéantissement. »

 » Parlez« , fit Louria, encourageant les voyageurs.

Alors ceux-ci lui rapportèrent que dans leur lointain pays le roi avait pris en haine tous les Juifs : il leur avait ordonné de déposer dans son trésor avant 3 mois une énorme somme d’argent, les avisant que s’ils ne l’apportaient pas, la moitié d’entre eux seraient exécutés et les autres vendus comme esclaves. Des messager du roi s’étaient aussitôt mis en route à travers le pays pour proclamer l’ordre du souverain. Mais la somme exigée était très élevée, et les Juifs étaient loin d’en posséder fût-ce la moitié.

– « Même si toutes les larmes que nous avons déjà versées étaient en or, nous ne pourrions acquitter ce tribut, conclurent les visiteurs. Mais nous avons entendu parler de toi, de ton grand pouvoir et des miracles que tu accomplis d’une seule parole. Nous te prions donc de nous aider et de détourner de nous le danger qui nous menace. »

– « Ne craignez rien« , répondit Louria en les apaisant, « et ne désespérez pas.La tristesse ne sied pas au Chabbat. Restez ici à présent, et demain vous verrez que votre voyage n’était pas inutile. »

Le lendemain, dès la fin du Chabbat, Louria invita les voyageurs à prendre de solides cordes et à le suivre jusqu’au champ voisin. S’arrêtant alors près d’un puits profond, il leur ordonna :

– « Faites descendre l’extrémité de votre corde jusqu’au fond et lorsque je vous le dirai, remontez-la ! »

Les hommes obéirent et, sur son signal, se mirent à tirer. Ils pensaient que cela irait tout seul, mais, à leur grand étonnement, ils furent obligés d’y employer toutes leurs forces. Les cordes leur échappaient, comment entraînées par quelque lourd fardeau et, avant d’avoir réussi à faire ce que demandait Louria, ils étaient épuisés. Enfin, l’extrémité des cordes apparut sur la margelle du puits et les hommes comprirent alors pourquoi ils avaient eu tant de mal. A leur extrémité, étaient attachés les pieds d’un grand lit d’or sur lequel un roi reposait, vêtu d’une seule chemise de soie.

–  » C’est lui, le souverain qui veut nous anéantir ! s’écrièrent les voyageurs effrayés. »

Louria fit signe aux hommes de se taire et secoua le roi. Celui-ci se réveilla et regarda autour de lui sans comprendre. Sans lui laisser le temps de se ressaisir, Louria mit dans sa main un seau sans fond, en disant :

– « J’ai appris que tu demandais à mes frères quelque chose qu’ils ne pouvaient te donner. Eh bien moi, je te donne jusqu’à l’aube pour vider l’eau de ce puits! »

– « Comment le pourrai-je ? s’exclama le roi avec désespoir. Ce seau n’a pas de fond !  »

– « Et comment les Juifs de ton pays pourraient-ils te payer ? » rétorqua Louria. « Tu sais bien que même s’ils vendaient tous leurs biens, ils ne rassembleraient jamais la somme nécessaire. Alors réfléchis bien : ou bien tu passes le reste de tes jours à vider ce puits à l’aide du seau sans fond, ou bien tu signes immédiatement en scellant de ta bague royale que les Juifs t’ont déjà versé l’argent. »

– « Je signe, fit le roi en sanglotant d’effroi. Je ferai ce que tu voudras, pourvu qu tu me laisses revenir tranquillement dans mon palais. »

– « Signe d’abord ! » ordonna Louria. Il sortit un acte attestant que les Juifs n’avaient aucune dette envers le souverain, exigeant du roi qu’il le signe et y appose son sceau.

– « Te voilà libre à présent ! » fit Louria. « Veux-tu retourner au palais à pied, ou par le puits ? »

– « Je préfère reprendre le chemin par lequel je suis venu« , répondit le souverain apeuré.

– « Dans ce cas, allonge-toi« , commanda Louria. Puis il fit signe à ses compagnons de laisser redescendre dans le puits le roi et son lit.

A l’aube, les visiteurs firent leurs adieux à Louria. Celui-ci leur remit l’acte garantissant l’existence des Juifs dans leur pays lointain, et ils reprirent le chemin du retour le coeur léger. Pour le roi, par contre, la journée commença mal. Il se réveilla en sueur et si angoissé qu’il n’osa pas interroger ses devins sur le sens de son rêve.

– « Quel terrible cauchemar » ! pensa-t-il. « Heureusement que ce n’était qu’un songe ! »

Mais cette frayeur nocturne poussa le souverain à haïr les Juifs davantage encore. Il attendait avec impatience le jour où ils devraient lui apporter l’argent et, dans sa fureur, il inventait pour ces malheureux des punitions de plus en plus cruelles. A l’heure dite, les messagers des Juifs se présentèrent devant le roi.

– « Où est l’argent ? » s’écria celui-ci d’un ton menaçant. « Payez immédiatement ! »

– « C’est déjà fait« , répondirent les Juifs avec calme, en montrant l’acte au roi. « Tu reconnais sans doute ta signature et ton sceau. »

Lorsque le roi aperçut le document portant sa signature et son sceau, il fut saisi d’un terrible effroi. Il s’écroula sur le sol, et les médecins de la cour mirent plus d’une heure à lui faire reprendre ses esprits.

– « Ce que vous dites est exact« , répondit-il aux Juifs avec peine. « Je me porte garant de votre vie comme de celle de tous les vôtres. »

Le souverain donna l’ordre de ne plus nuire aux Juifs qui se réjouirent longtemps du miracle qui les avait sauvés.

1012

En l’an 1012, le sultan Fatimide Al Hakim commence à persécuter les Juifs et les chrétiens. La synagogue du Caire est détruite. Elle sera reconstruite avec une pièce prévue pour les archives, qui deviendra la célèbre Gheniza du Caire ______________________________________________________

Inaugurée après sa restauration en 2010, la synagogue ben Ezra du Caire est la plus ancienne d’Égypte. Elle est unique par son architecture chrétienne, ses arabesques islamiques, et ses ornements juifs. L’histoire de cette synagogue est mouvementée. La légende dit que c’est à cet endroit que la fille du pharaon a recueilli Moïse dans son panier. La légende dit aussi que Moise a grandi dans ces mêmes lieux.

Sous le règne du roi babylonien Nabuchodonosor, les Juifs revenus dans le pays guidés par Jérémie, trouvèrent accidentellement les traces de Moïse, et là, tout près de la ville de Guizeh, ils élevèrent une synagogue au nom de Jérémiah. À l’intérieur de ce temple fut édifiée une place spéciale appelée Guenizah où la Torah inachevée attribuée à Ezra Sopher (Ezra le Scribe), fut enterrée. À l’ouest de la synagogue, se trouve l’Église d’Abou Serga qui renferme une crypte dont l’histoire chrétienne dit que quand Hérode, le gouverneur romain de Jérusalem ordonna l’exécution de tous les enfants de son royaume, la Vierge Marie, Joseph et l’enfant Jésus s’enfuirent et cherchèrent refuge dans cette crypte qui les a abrités pendant trois mois. Il est reconnu que Joseph étant Juif, ce qu’il avait de plus logique à faire, était de demander asile à ses coreligionnaires. Ce fait, et beaucoup d’autres constituent une preuve irréfutable de l’existence d’un Quartier Juif autour de la localité du Vieux Caire, il y a deux mille ans.

Dans leurs ouvrages, plusieurs historiens citent la synagogue comme située dans ces parages. L’un d’eux, Benjamin de Tudèle, venu d’Espagne en 1169 rapporte dans son livre écrit en 1170 qu’il a visité la synagogue juive dans un endroit appelé Vieux Caire et que là, il a découvert la Torah de Ezra le Scribe. Un autre historien, le fameux juif italien Jacob de Vittelina, venu en Égypte avant Benjamin fait allusion à cette synagogue. Un troisième, Rabi Youssef relate dans son ouvrage rédigé en 1630 que l’inscription originale de Sambar à l’Université de Bodelaine d’Oxford contient plusieurs références concernant la synagogue de Ben Ezra du Vieux Caire. Parmi ces références, il y a un passage relevé dans l’ouvrage de l’historien El-Makrizi qui vivait au XIVe siècle, ouvrage intitulé Khetat : “Au cours de ma visite à la synagogue du Vieux Caire, j’ai trouvé du côté sud l’endroit où plusieurs siècles auparavant, l’Ancienne Torah de Ezra le Scribe fut déposée”. Le Docteur Salomon Schichter de l’Université de Columbia, venu en Égypte du temps de Lord Cromer, appuya les précédents rapports au sujet de la synagogue.

Lors de l’invasion de l’Égypte par les Romains (en 30 avant J.C.), les envahisseurs détruisirent la synagogue du prophète Jérémie. En l’an 641, Amr Ibn Al-As, le grand général arabe, vainquit les Romains à Babylone et restitua à leurs propriétaires les biens usurpés par les Romains spoliateurs.

Les Coptes réclamèrent alors le terrain sur lequel avait été édifié l’ancienne synagogue de Jérémiah, justifiant leur réclamation par le fait que Jérémie est cité dans le Nouveau Testament comme l’un de leurs prophètes. Comme ils étaient plus nombreux que les juifs, ils réussirent à convaincre Amr Ibn Al-As et le terrain leur fut alloué. Sur ce même terrain, les Coptes bâtirent alors une église que l’historien El-Makrizi appelle dans son œuvre l’Église de l’Ange Gabriel. Quant aux autres historiens, ils s’y réfèrent en l’appelant Église de Saint Michel. Le docteur Richard Gotheil de l’Université de Columbia et le professeur William Worell de l’Université de Michigan, dans leur œuvre “Cairo” rapportent que l’Église fut détruite par le calife fatimide El-Hakim Bi Amr-Ellah. En 868, Ahmed Ebn Touloun, gouverneur d’Égypte, imposa aux Coptes un tribut annuel de 20 000 dinars en or.

En l’an 1115, le grand rabbin Abraham ibn Ezra vint de Jérusalem en Égypte et se rendit sur les lieux où, bien avant lui, Moïse et Jérémie avaient fait leurs dévotions. Il s’adressa ensuite aux notables, leur fit part de ce qu’il savait de la synagogue et revendiqua le droit de possession du terrain. Puis il intervint auprès du patriarche Alexandre le 56e et lui dit que la synagogue devait être restituée aux Juifs. Le patriarche répondit alors que le gouverneur réclamerait le tribut annuel de 20 000 dinars. Enfin, il fut convenu que la synagogue serait restituée aux Juifs tant que le tribut serait versé. Ben Ezra rebâtit la synagogue qui porte encore son nom. (Ftouh Souhail, Tunis pour JSSNews)

Ben%20Ezra.jpg    Intérieur de la synagogue ben Ezra, ou est peut-être entré un jour  Rabbi Isaac Louria lorsqu’il séjourna au Caire
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(source Contes juifs racontés par Leo Pavlat – Editions Gründ)

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La lumière de la source aux figues

Que de peuples sur la terre, les uns se prévalant de la force de leurs soldats, les autres s’enorgueillissant de l’habileté de leurs artisans ! Il est des nations de sculpteurs remarquables, et des pays où les artistes peignent de magnifiques scènes. Mais c’est un don unique que les Juifs ont reçu de D.ieu : Il leur a fait présent de la Torah, le Livre de la Loi, en leur enjoignant de suivre Ses commandements? C’est ainsi que les Juifs portent depuis toujours dans leur coeur l’enseignement des saintes Ecritures et qu’ils aiment à lire et à étududier la Torah plus que tout.

A Safed, en Terre Sainte, vécurent de grands sages. Que dans le ciel, le soleil ou la lune aient brillé, la salle d’étude restait toujours pleine. Lorsqu’un garçon naissait, on pouvait être sûr qu’il se pencherait sur chaque verset de la Torah avec la même foi que son père et, lorsqu’un vieillard mourait, c’était un savant que l’on enterrait. Les Juifs de Safed étaient renommés de par le pays, et chacun considérait comme un honneur de pouvoir aller les écouter.

Ainsi passèrent de longues années. Mais un jour de printemps, un nouveau gouverneur arabe prit le pouvoir dans la ville, et les Juifs furent  les premiers à connaître sa nature maligne. Celui-ci voyait en effet d’un mauvais oeil les Juifs penchés sans cesse dans leur salle d’étude sur une Loi qu’il haïssait, et enrageait de savoir qu’en tant que précepteurs, ils n’auraient pas à lui quémander du travail dans les champs. Il se bouchait les oreilles quand il les entendait psalmodier et ne supportait point de voir les enfants se hâter avec leur père à la synagogue.

Un jour, le gouverneur prit une décision : – Lorsque des Juifs voudront se marier, ils devront payer. Quand un enfant leur naîtra, ils paieront aussi. Et, comme si cela ne suffisait pas, le souverain imposa des taxes sur les enterrements, sur les fêtes, il augmenta le tribut et prescrivit de nombreuses amendes. Ce qui était permis un jour était défendu le lendemain, de sorte que les Juifs redonnaient presque tout l’argent qu’ils gagnaient. Néanmoins, il leur en restait encore assez pour vivre et le souverain s’aperçut avec déplaisir qu’ils n’étaient pas aussi découragés qu’il l’avait escompté.

« Comment pourrais-je mener aux Juifs la vie plus dure encore ? » se demandait-il. « Plus ils me donnent d’argent, et plus ils ont d’élèves qui paieraient à prix d’or pour une seule parole de ces sages ! »

Empêche les Juifs de s’instruire sans cesse, suggéra le conseiller du souverain qui était aussi perfide que son maître. Mais fais-le assez habilement pour qu’ils ne puissent se plaindre au sultan. Il suffit que tu défendes l’éclairage nocturne. Publie un décret interdisant d’allumer bougies et lampes à huile, et tu verras qu’il leur restera à peine de quoi manger ! »

Le gouverneur mit aussitôt en application l’idée de son conseiller. L’annonce de cette mauvaise nouvelle affligea profondément les Juifs de Safed. Ils acceptaient toutes les nouvelles privations, mais personne ne pouvait s’imaginer passer une nuit entière au lit.

« Est-il possible de n’étudier la Torah que pendant le jour ? » se lamentaient-ils. « Chaque minute sans elle dure une éternité ! Comment allons-nus vivre à présent ? » Les enfants eux-mêmes furent touchés par la tristesse des adultes. Ils employèrent cette journée funeste à réfléchir au moyen de déjouer le sinistre plan. Mais, ni les grands ni les petits ne trouvèrent de solution. Midi passa, les ombres commençaient à s’allonger, et les Juifs attendaient anxieusement le moment où la nuit tomberait sur Safed.

Le plus affligé de tous encore semblait être le petit Hanan. « De quoi se plaignent les adultes ? se demandait-il amèrement, la connaissance qu’ils ont déjà acquise ne leur sera pas reprise. Mais si moi je ne peux jamais ouvrir le Livre pendant la nuit, comment apprendrai-je ce que savent mes maîtres ! »

Hanan eut souhaité des yeux de chat, afin de voir dans l’obscurité et des ailes d’oiseau pour s’envoler là où nul souverain cruel ne persécutait les Juifs. Il se prit à rêver, et ses pensées l’emportèrent dans le royaume des animaux, lorsqu’une idée lui vint : « Et si je me rendais dans la vallée des Moulins ? N »y a-t-il pas là près de la Source aux Figues, des milliers de lucioles volantes ? Elles sont comme des étincelles de bois et, si elles se rassemblent, elles m’éclaireront comme une flamme ! »

Hanan se mit en route sans hésiter. La nuit tombait déjà et la salle de prière qu’à cette heure, d’ordinaire , les bougies éclairaient, restait sombre, tel un phare abandonné. Courant à travers les ruelles étroites du quartier juif, Hanan se retrouva bientôt à l’extérieur de la ville. C’était un beau soir d’été. De la montagne Acmon soufflait une brise légère, le soleil s’était couché et, dans le ciel, scintillait la première étoile. Le chemin commençait à descendre lentement. Il obliquait tantôt de droite, tantôt de gauche, et les étoiles, de plus en plus nombreuses, clignotaient çà et là derrière les cimes des arbres majestueux. Enfin Hanan parvint à la source aux Figues. Elle jaillissait au milieu d’une vallée profonde où de petites lumières voltigeaient à perte de vue.

– « Les lucioles ! » s’exclama Hanan joyeusement. S’étant trouvé un long bâton, il leur fit la chasse, pour les coller à l’extrémité du bout de bois. La nuit était déjà tout à fait tombée. Hanan courait de tout côté, continuant d’attraper ses lucioles, mais le temps passait et celles qui étaient sur la branche ne donnaient qu’une faible lumière. Le garçon redoubla d’ardeur. Ne sachant plus combien de lucioles il avait prises, il courait entre les arbres, trébuchait sur les racines, mais ses efforts restaient vains. Le bâton qu’il serrait dans sa main droite n’offrait qu’une infime lueur, pareille à celle de la lune que voilent les nuages, et il était impossible de lire à sa clarté.

Hanna s’assit sur la terre, à bout de souffle. Des milliers d’égratignures piquaient ses jambes et ses bras, mais ce qui le tourmentait le plus était de ne pouvoir se consacrer à l’étude de la Torah autant que son père et ses ancêtres : – « J’espérais que les étincelles des bois éclaireraient ma sainte lecture, » soupira-t-il déçu, « mais elles ne donnent même pas assez de lumière pour éclairer mon chemin. »

A peine Hanan eut-il prononcé ces mots que d’innombrables lucioles commencèrent à se rassembler autour de lui. Des milliers de petites lueurs se mirent à briller dans la nuit, inondant le garçon de lumière. Hanan ouvrit des yeux étonnés et incrédules, lorsqu’une voix fluette lui chuchota à l’oreille :        – « Hanan, c’est moi, la reine des lucioles de la Source aux Figues. Mes filles se sont enfuies devant toi parce qu’elles te prenaient pour une de ces mauvaises gens qui les capturent et les détruisent pour leur plaisir. Mais si tu souhaites que nous éclairions les lettres de la divines Torah, nous t’accompagnerons volontiers à Safed, car ton D.ieu est aussi le nôtre, notre Créateur et Seigneur. »

Hanan s’en retourna plein de bonheur à la maison. Sur l’ordre de leur reine, toutes les lucioles de la vallée des Moulins entourèrent le garçon qui n’eût pas lui-même mieux éclairé sa route. Formant un essaim au-dessus de sa tête, elles brillaient comme autant de petites lampes. Bientôt Hanan arriva à la salle d’étude. Dans la pièce obscure, les sages de Safed étaient rassemblés, silencieux, plongés dans de tristes pensées. Lorsque Hanan se présenta devant eux, la salle s’emplit de lumière. Les hommes poussèrent des cris de joie. Puis, bénissant Hanan et les lucioles, ils chantèrent et dansèrent comme à la fête de la Torah.

Quand le souverain arabe apprit que les Juifs étaient passés outre à sa défense d’éclairer, il entra dans une vive colère. Il se rendit avec nombre de soldats à la salle d’étude afin de punir les Juifs mais, sur le seuil, la surprise le pétrifia. Les Juifs étudiannt l’Ecriture Sainte non pas à la clarté de bougies ou de lampes à huile, mais dans la lueur que les lucioles, voletant tout autour d’eux, jetaient sur les pages des livres ouverts. Le souverain resta muet de colère. Mais, puisqu’il n’avait pas mentionné cette lumière dans son décret, il ne pouvait poursuivre les Juifs. Dans son humiliation, le scélérat ne savait où porter son regard et en lui le courroux grandit tant et tant que son coeur éclata de honte et de mépris. Il tomba raide par terre et, dès lors, aucun de ses successeurs n’essaya plus de défendre aux Juifs de Safed de s’instruire.

(source Contes juifs racontés par Leo Pavlat – Editions Gründ)

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L’histoire du Kotel

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Le décret fut scellé : « Le Beth Hamikdach sera détruit, et les juifs seront expulsés de leur terre ! » Puis D. dit : « Mais le mur occidental ne sera pas détruit, ainsi le souvenir de la résidence de la gloire Divine restera à jamais ! »

Titus, le cruel général romain, pénétra sur la terre d’Israël, poursuivant son œuvre de destruction. Lorsqu’il s’empara de Jérusalem et cerna le Second Temple, il répartit les quatre murs entre les mains de quatre généraux. Il leur ordonna à chacun de détruire l’un des murs.

Trois d’entre eux en détruisirent trois, mais le quatrième qui devait mettre à bas le Mur Occidental, ne le fit pas. Titus ordonna à ses garde de l’amener devant lui.

« Pourquoi n’as tu pas obéi à mes ordres ? » lui demanda Titus.

« Je jure sur la vie de l’empereur », répondit le général « que j’ai agi ainsi pour l’honneur de Rome. Si j ‘avais détruit ce dernier mur, le monde n’aurait pas connu la grandeur du sanctuaire que tu avais ordonné de détruire. A présent, tous verront le mur de ce magnifique Temple encore debout et s’exclameront :

« Quel héros, ce Titus ! Admirez cet immense temple détruit par ses mains ! »

« Tu as raison, et tu as agi avec sagesse, » lui rétorqua Titus, » mais parce que tu as désobéi à mes ordres, tu vas monter au sommet de ce mur et tu vas sauter. Si tu en réchappes, je te ferai grâce de la vie. »

Le général obéit, et trouva la mort sue le sol.

Les Juifs ne pouvaient et ne voulaient pas oublier leur Beth Hamikdach. Chaque année à Ticha b’Av les juifs se rassemblaient devant le Mur occidental et déversaient leurs larmes, priant D. de reconstruire le Temple et de ramener tous les exilés vers la Terre Sainte.

Les Romains ne pouvaient pas supporter de les voir si attachés à leur religion et se tourner résolument vers le Mur, emplis de Sainteté.

Les Romains décidèrent donc de détruire et de brûler le Mur. Cela n’eut aucun résultat ; le feu ne consuma pas les immenses pierres et le Mur demeura entier. Les envahisseurs pensèrent et repensèrent la question jusqu’à ce qu’ils trouvent un plan. Ils ordonnèrent aux non Juifs qui habitaient Jérusalem de déverser leurs ordures chaque jour devant le Mur. Ils espéraient qu’avec le temps le Mur serait entièrement couvert par les détritus et disparaîtrait de leur vue.

Jour après jour, le tas d’ordures grossissait près du Mur. Petit à petit, le Mur fut recouvert. Les non Juifs se réjouissaient et les Juifs se lamentaient.

Le temps passa. Un Juif, de retour d’exil vint à Jérusalem afin de s’épancher auprès de D. et de pleurer la destruction du Temple. C’était un grand Tsadik. Il marcha dans la ville, longtemps, cherchant le Mur Occidental mais ne put le retrouver. Il questionna les habitants : « Où se trouve le Mur Occidental ? » Ils haussaient les épaules, lui répondant qu’ils n’avaient jamais vu de leur vie le Mur dont il parlait. Cependant, le Juif ne perdit pas espoir. Jour et nuit, il allait par les rues, cherchant le Mur Occidental. Un jour il arriva près de l’immense tas d’ordures qui constituait une colline à présent. Il se demanda comment il pouvait y avoir une telle accumulation de détritus à cet endroit puis remarqua une très vieille femme, non Juive, qui transportait sur son dos un sac très lourd. Elle marchait quelques pas, s’arrêtait, puis reprenait sa marche. Le Juif vint lui proposer son aide ?

« D’où venez-vous, vieille dame, et que transportez-vous ? » demanda l’homme.

« Je viens d’un village pas très loin d’ici et je porte un tas d’ordures que je vais jeter sur la colline. »

Le Juif demanda d’un ton inquisiteur : « Vous n’avez pas de place dans votre village que vous soyez forcée de venir les déposer ici ? »

« Vous êtes un étranger, me semble-t-il »répondit la vieille femme. « C’est une très vieille coutume de jeter les ordures ici. Il y a longtemps se tenait là un mur de pierres gigantesque que les Juifs considéraient comme sacré et on nous a ordonné de jeter nos détritus ici pour couvrir le mur. Avant nous étions payés pour cela mais de nos jours, nous ne recevons plus un centime, »croassa la vieille. Elle vida son ballot et repartit vers son village.

Le Juif resta comme pétrifié. Les larmes coulèrent de ses yeux. « Je ne m’en irais pas d’ici jusqu’à ce que je trouve un plan afin de débarrasser ces saletés et de révéler le Mur encore une fois. »

Debout, pensif, il réfléchit et soudain son regard s’alluma.

Il retourna en ville et murmurait à l’oreille de chaque personne sur son chemin : « On m’a dit qu’il y a un grand trésor enfoui sous la colline de détritus… »

Il s’empara d’une pelle et d’un panier puis commença à creuser dans le tas de détritus, remplissant le panier pour le vider dans le ravin situé à côté.

Peu de temps après les gens de plus en plus nombreux arrivèrent munis de pelles et de paniers. La cité de Jérusalem toute entière était excitée par l’annonce d’un immense trésor sous la colline. Rapidement, la population entière se mit au travail, creusant et nettoyant l’endroit.

Ils creusèrent toute la journée, jusqu’à que les pierres supérieures du Mur affleurent à la surface. Le soleil se couchait et les gens redescendirent prendre un bon repos. Une seule personne ne bougea pas de la colline- le Juif revenu d’exil. Il embrassa les pierres avec ferveur, pleurant et riant à la fois. Puis il prit quelques pièces d’or de sa poche te les recouvrit de terre et de détritus.

Le soleil n’avait pas encore montré son visage que la colline était déjà noire de monde.

Soudain un tumulte éclata. Quelqu’un avait trouvé une pièce d’or. Une autre aussi et encore une autre. La population commença à creuser avec encore plus d’enthousiasme.

Chaque jour les gens venaient et creusaient de plus en plus profond. Les saletés étaient emmenés loin de là et ils recommençaient à creuser. Chaque jour, on trouvaient quelques pièces d’or mais la rumeur courait que l’important du trésor se trouvait à la base, au pied du Mur.

L’homme Juif creusait comme tout le monde et sa fortune toute entière passa dans cette mission sacrée : redécouvrir le Kotel.

Pendant plus de quarante jours, les habitants de Jérusalem creusèrent autour du Mur Occidental, dénichèrent le « trésor » pour finalement enlever tout détritus autour du Mur. Ils n’avaient trouvé d’autres pièces mais devant leurs yeux se tenait une immense pierre.

Soudain, une tempête fit rage et un déluge de pluie s’abattit sur les lieux. Il plut ainsi pendant trois jours et trois nuits, lavant le Mur de toute trace de saleté.

Lorsque les gens revinrent pour voir ce qu’ils avaient mis à jour, ils découvrirent un Mur magnifique fait d’immenses pierres dont certaines avaient plus de trois mètres de haut.

Depuis lors, les Juifs prirent l’habitude de se réunir devant le Mur à Ticha b’Av afin d’épancher leur cœur vers Hachem, priant pour la rédemption qu’Il promis à Son peuple par la voix des prophètes.

A l’endroit même où Avraham avait mené son fils Itshak au sacrifice, là où s’était tenu le premier Beth Hamikdach construit par le Roi Salomon et le deuxième, construit par Ezra et Nehemiah, à l’endroit même où sera reconstruit le troisième Beth Hamikdach lorsque Machiah viendra, tout de suite si D. veut, nous prions. Le nouveau et dernier Beth Hamikdach surpassera de loin les deux premiers que ce soit en beauté ou en majesté et de nouveau les Cohanim accompliront leur travail sacré, les Leviim entonneront leurs chants et toutes les nations reconnaîtront le D.ieu Unique. Ce sera là un monde irradiant et nouveau. Le Mur Occidental ne sera plus appelé « Mur des lamentations » car la joie et le bonheur s’entendront dans toutes les rues de Jérusalem. (source A’hdout.org)

(Traduit de « The storyteller, Nissan Mendel, éditions Kehot)

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Miracle à Jérusalem

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Au milieu du seizième siècle, un Juif, Rav Kalonimus, fils de Rav Yaacov, habitait Jérusalem. C’était un saint homme et un érudit réputé. Dans la communauté chacun le respectait et l’honorait. Un chabat matin, les fidèles de la choule Talmud Torah qui jouxtait la synagogue Rabban Yochanan ben Zakaï furent ébranlés à la vue de ce qu’ils y découvrirent. Un enfant musulman gisait mort sur le sol! Avant même qu’ils puissent comprendre la situation, une escouade de soldats Arabes débarquait, envoyée par le kadi (gouverneur de la ville). Les Juifs furent accusés d’avoir kidnappé l’enfant et de l’avoir assassiné.

En quelques minutes, les Juifs furent encerclés puis arrêtés. La foule commença à grossir, les murmures des Musulmans agressifs se muèrent en vociférations, « Assassins! » La tension était à son comble, les violences ne sauraient tarder. Pleurant, les femmes Juives expliquaient « Mon mari est innocent » et plusieurs hommes essayèrent de s’échapper par la synagogue ou par les allées à l’entour. La sérénité du Chabat s’effondra, brisée en mille morceaux.
Plusieurs suspects furent emmenés à des fins d’interrogatoires et la foule se dispersa. Très rapidement, Rav Kalonimus entra dans la choule puis s’approcha du corps étendu dans une des parties latérales de l’édifice. Là, se tournant vers le petit nombre de gens restés à l’intérieur, il demanda à rester seul avec le mort. Il se dirigea vers un placard et y prit un parchemin et une plume d’oie. Il fit revivre l’enfant grâce à de saints Noms qu’il écrivit sur ce parchemin tout en méditant d’une manière connue de lui seul, kabbalistique. Puis il se mit à parler à l’enfant et l’obligea à révéler le nom de son meurtrier; le jeune garçon promit alors de révéler ce qu »il savait au kadi (gouverneur nommé par l’Empire Ottoman).
Prenant l’enfant par la main, Rav Kalonimus lui fit traverser les ruelles de Jérusalem jusqu’à la maison du kadi. Déjà, une foule menaçante d’Arabes s’était rassemblée devant la maison du kadi demandant l’extermination de tous les Juifs. Mais en voyant l’enfant couvert de sang qui se tenait aux côtés du vieil homme, il furent paralysés et le silence retomba.
Rav Kalonimus pénétra dans la maison et se tint devant le kadi.
 » Que se passe-t-il? » demanda le kadi, stupéfait.
 » Voici le mort! » tonna Rav Kalonimus.  » Demandez lui vous-même qui a pris le couteau et l’a tué la nuit dernière! »
Choqué à la vue de l’enfant censé être mort, le kadi parvint à le lui demander d’une voix très faible. Pendant ce temps les parents de l’enfant ainsi que d’autres Arabes étaient entrés et regardaient la scène. A voix basse, l’enfant commença à expliquer les évènements qui s’étaient déroulés la nuit précédente, comment sous le coup de la colère un Musulman l’avait frappé puis poignardé à  mort. Se tournant alors vers l’assemblée, il montra du doigt l’assassin puis s’exclama d’un ton effrayant, » Il m’a tué! »
L’Arabe désigné essaya de s’enfuir mais fut vite rattrapé par les soldats du kadi. Sa confession hystérique terminée, le charme qui avait agi sur le garçon fut rompu et il quitta le monde des vivants à tout jamais. Le kadi répliqua immédiatement en demandant la relaxe de tous les prisonniers Juifs.
Grâce à Rav Kalonimus et à son acte décisif, l’extermination de tous les Juifs de Jérusalem avait pu être évitée. Alors que tous les Juifs sentaient qu’ils avaient été miraculeusement épargnés, Rav Kalonimus était chagriné et agité. Afin de sauver la communauté de son funeste sort, il avait dû profaner le chabat en écrivant. Et malgré les lois permettant de profaner le chabat afin de sauver des vies, il ne s’en remit jamais.
Après sa mort, il fut enterré au pied du Mont des Oliviers et là on apprit que peu de temps auparavant, il avait demandé que durant les cent ans qui suivraient son décès, la personne qui passerait près de sa tombe y jetterait des pierres. En renonçant aux honneurs et en se soumettant à ces actes de dégradation et de mépris, il espérait expier sa « faute ».
Ainsi, les générations passèrent. On prit la coutume d’emporter avec soi avant chaque voyage au delà des mers une des pierres de sa tombe. Cela devint une ségoulah (protection) pour celui qui devait voyager au delà des mers. Il s’assurait ainsi un bon voyage et revenait sain et sauf dans la ville Sainte.
(Toldos Chachmei Yerushalayim vol.1 pp 98-99) (source ahdout.org)

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Pour l’amour de la Torah

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Baal Shem Tov Foundation ____________________________________________________________

Récit du Baal Chem Tov, par Nissan Mindel Récit a été raconté par Rabbi Yossef Its’hak Schneerson, le précédent Rabbi de Loubavitch de mémoire bénie. Il le tenait de son arrière-grand-père, l’auteur du « Tséma’h Tsédek », lequel le tenait de son aïeul le « Vieux Rabbi », Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, auteur du Tanya et du Choulkhane Aroukh, et fondateur de ‘Habad.

Cet épisode eut lieu au temps du Baal Chem Tov, avant qu’il se fût révélé comme le fondateur de la doctrine ‘hassidique, et le chef du ‘Hassidisme. En cette période de sa vie, le Baal Chem Tov allait par les villes et les villages apporter foi et réconfort à ses frères.

Dans une petite communauté juive vivait un jeune orphelin. Il avait eu le malheur de perdre son père à l’âge de trois ou quatre ans, puis sa mère une à deux années plus tard. Un oncle recueillit le jeune garçon chez lui, et lui fit suivre les cours d’un melamed (maître) pour qu’il lui enseignât ce qu’un enfant juif doit apprendre.

Le nom de ce garçon ne nous est pas connu, aussi l’appellerons-nous Jacob. Il présentait ce trait contradictoire qui allait devenir pour lui une source de grands soucis : d’une part un fort penchant pour l’étude, et de l’autre, aucun don, aucune aptitude pour la mener à bien. Les prières du Siddour l’intéressaient, l’attiraient, mais il lui était difficile de retenir même les lettres de l’Aleph-Beth et encore moins les petits signes étranges placés au-dessus ou au-dessous et qui, comme l’on sait, font fonction de voyelles. Ses camarades de ‘Hédère, eux, apprenaient facilement les unes et les autres, mais le pauvre Jacob avait toutes les peines du monde à les imiter. Lettres et signes formaient dans sa tête un mélange confus où, quoi qu’il fît, il lui était presque impossible de se retrouver. Sous l’influence bénéfique du maître, les camarades de Jacob, au lieu de laisser libre cours à la cruauté si commune aux enfants et de souligner son infériorité pour mieux en rire, au contraire compatissaient à ses difficultés et faisaient même de leur mieux pour l’aider. Toutes ces bonnes volontés s’ajoutant à la sienne donnèrent bien, à la longue, quelques résultats. Le jeune garçon finit par apprendre tant bien que mai à lire et à réciter les simples berakhoth (bénédictions) sur les différentes espèces de nourriture.

Le temps passait. Enfin, les progrès de Jacob ayant été jugés trop lents, il fut transféré au Talmud-Torah de la communauté, dont les cours étaient gratuits. Là, il reprit ses efforts, qui durèrent quelques années encore, mais ne donnèrent, comme par le passé, que des résultats fort médiocres. Les dirigeants de la communauté durent finalement se rendre à l’évidence. Cela sautait aux yeux de tous : le pauvre orphelin ne serait jamais un érudit. Aussi l’oncle prit-il la résolution de lui apprendre un métier. Il avait déjà douze ans, il fut placé comme apprenti chez un rétameur des environs.

Un bon artisan

Ce dernier n’avait pas beaucoup d’instruction. Il en avait cependant plus que Jacob et décida de l’aider dans ce domaine dans la mesure de ses possibilités. Elles n’étaient pas étendues, nous venons de le dire ; il pouvait néanmoins veiller à ce que Jacob ne confondît point entre elles les Actions de grâces, et sût laquelle réciter en chaque circonstance. Le garçon n’avait pas perdu son grand penchant pour l’étude ; aussi, afin de les fixer dans son ingrate mémoire, se mit-il à répéter à haute voix les Actions de grâces pendant le travail. Mais le rétameur lui rappela qu’on ne devait pas prononcer le nom de D.ieu en vain, et que les bénédictions ne pouvaient être récitées qu’avant de porter un aliment à sa bouche. Jacob, obéissant, s’en abstint. Il cessa ces récitations intempestives et leur substitua l’Aleph-Beth qu’il prit l’habitude de répéter par cœur, en chantonnant et scandant les lettres au rythme du travail : kamatz aleph-« A », kamatz beth-« Ba », et ainsi de suite.

Si les progrès de Jacob dans l’étude n’étaient pas brillants, en revanche il réussit mieux dans le métier, qu’il apprit assez vite. Il passa encore quelque temps auprès du rétameur, consolidant ainsi l’expérience acquise, puis, prêt à voler de ses propres ailes, il se chercha un atelier et s’installa à son compte.

Jacob s’enrichit

Quand il fut en âge de se marier, il trouva une jeune fille pleine de qualités qu’il épousa. C’était la fille d’un Juif pauvre et laborieux qui vivait au village voisin. Il gagnait péniblement sa vie en recueillant la sève des arbres dans les bois et en en faisant de la poix. Une fois marié, Jacob alla s’installer au village de son beau-père. Là il réussit encore mieux. Ses affaires prospérèrent au point que, peu de temps après, non seulement il gagnait largement sa vie, mais aussi, comparé aux habitants du village, on pouvait le considérer comme riche. Il continua à être charitable envers ses semblables et le fut même davantage, en ayant les moyens. En un mot, il avait tout pour être heureux ; du moins pouvait-on être tenté de le croire. Mais il y avait en lui l’ancien tourment, le tourment que lui causait son ignorance en matière de Torah et qui ne le quittait point. Il était sans instruction, il le savait, et ne s’en consolait pas. La Torah demeurait pour lui son grand, son terrible souci.

Dans son village vivaient quelques Juifs et leurs familles, dont un cho’het (abatteur rituel), un melamed et un érudit en Torah. Ils disposaient d’une petite synagogue où ils allaient faire leurs dévotions. Un jour, n’y tenant plus, Jacob s’ouvrit à l’érudit et exhala son cœur. Il lui dit ses peines, il souffrait de n’être pas capable d’étudier la Torah. L’érudit lui expliqua qu’il n’était pas donné à tout Juif d’avoir une grande culture toranique ; en revanche, lui, Jacob, avait d’autres raisons d’être heureux. S’il ne pouvait entrer dans la famille des érudits, du moins avait-il la possibilité, avec les moyens matériels que D.ieu lui avait dispensés, de leur venir en aide. Il lui conseilla de pourvoir autant qu’il le pouvait aux besoins matériels des institutions toraniques et des étudiants qui les fréquentaient, ajoutant que plus il le ferait avec discrétion, en secret même, plus son geste serait méritoire ; car il importait que personne ne le sût. Ainsi il accomplirait la grande mitsva de Tsédaka et, de ce fait, aurait une part dans la Torah que les autres étudiaient. Jacob promit à l’érudit de suivre son conseil.

Jeûnes et mortifications

Une belle coutume existait dans ce village. Quand un coreligionnaire de passage y arrivait, les Juifs tiraient au sort afin de savoir lequel d’entre eux l’aurait comme invité. Un jour, un Juif, dont la mine trahissait une santé fort éprouvée, s’y présenta. Il était très malade. Le sort désigna pour être son hôte : Jacob. Heureux, celui-ci emmena l’étranger dans sa maison, lui donna tous les soins dont il avait besoin et s’occupa de lui avec tant de sollicitude que l’étranger finit par se rétablir. Au hasard d’une conversation, Jacob lui demanda un jour la cause de sa maladie et de la grande faiblesse physique dans laquelle il se trouvait en arrivant au village. L’homme lui répondit que c’étaient les jeûnes prolongés et les mortifications répétées auxquels il se livrait dans le but d’acquérir une connaissance plus grande de la Torah.

Quand vint le jour de son départ, l’étranger remercia vivement son hôte et prit congé de lui. Lui parti, Jacob, incité par son exemple, résolut de s’infliger, lui aussi, de sévères mortifications. Cela peut-être lui réussirait-il !

Il demanda à D.ieu de lui envoyer toutes sortes de peines et de souffrances ; il les supporterait avec joie si seulement le Tout-Puissant voulait bien lui ouvrir un peu l’esprit pour qu’il comprît la Torah. Mais D.ieu ne lui envoya aucune peine, aucune souffrance. Jacob eut alors recours aux jeûnes. Il le fit plusieurs fois par semaine, et pour plusieurs semaines. Il alla dans les bois, se coucha sur des fourmilières afin de se faire piquer par les fourmis. Il pria, pleura, il récita tous les Psaumes que sa mémoire avait retenus et supplia le Tout-Puissant de lui donner un esprit apte à comprendre la Torah.

L’inconnu dans les bois

Un jour qu’il priait et pleurait assis dans les bois, un Juif auréolé de sainteté vint à lui. Il tenait, comme tous les voyageurs juifs du temps, un bâton d’une main et un baluchon de l’autre. Mais cela ne suffisait pas à le confondre avec les autres ; quelque chose à la fois de précis et d’indéfinissable l’en distinguait. Une sorte de lumière surnaturelle émanait de lui. Il demanda à Jacob la cause de son chagrin. Le jeune rétameur lui parla de sa peine, de sa grande peine ; il essayait de se changer, de devenir comme il aurait voulu être et, ayant tout essayé en vain, il avait maintenant recours aux jeûnes et aux mortifications.

– J’ai un meilleur moyen, dit l’homme après l’avoir écouté. Si tu es disposé à renoncer en ma faveur à tout ce que tu possèdes, à abandonner femme et enfants et à me suivre pendant trois ans, je peux t’aider à devenir un érudit en Torah.

– Je le ferais sans la moindre hésitation, dit Jacob d’une voix ferme.

– Tout doux, mon bon jeune homme, reprit l’inconnu. Tu as une femme, il serait juste que tu lui demandes son avis ; et que tu demandes aussi à ton beau-père ce qu’il en pense. Si, après avoir parlé à l’une et à l’autre, tu persistes dans cette idée, viens me retrouver ici même dans huit jours.

Le jeune rétameur se hâta de regagner son foyer ; il conta aussitôt à sa femme sa rencontre avec l’inconnu dans les bois, et ce que ce dernier lui avait dit.

– Mon cher époux, lui répondit-elle, petite ou grande, à quoi te sert donc ta fortune ? Je connais ta peine ; elle est si profonde que tu ne prends goût à rien. La seule chose que tu désires réellement c’est d’être capable d’apprendre la Torah. Consciente de cela, comment n’abonderais-je pas dans ton sens ? Donne, mon ami, donne tout ce que tu possèdes ; ce n’est pas payer trop cher le seul bonheur auquel véritablement tu aspires. Je partagerai ta pauvreté avec joie ; mieux vaut avoir un mari démuni mais heureux, que riche et malheureux. J’y mettrai cependant, si tu le permets, une condition : que tu dises à cet inconnu qu’avant de renoncer à tout ce que nous possédons, nous désirerions qu’il soit notre invité pour un repas chez nous, le dernier de la situation aisée que nous sommes sur le point d’abandonner.

Jacob en fut très heureux. Il alla trouver son beau-père, lui fit part de la décision qu’ils avaient prise, lui et sa femme, et lui demanda ce qu’il, en pensait.

La question ne laissa pas de troubler quelque peu le père de la jeune femme.

– Il est vrai, dit-il après un bref silence, que la Torah est plus précieuse que tout l’or et l’argent du monde. Mais il se trouve que tu as femme et enfants. Que fais-tu de tes devoirs envers eux ? Je me demande si, en fin de compte, ce ne serait pas une erreur de t’engager délibérément dans une vie de pauvreté. Tu es ignorant, dis-tu ? Et alors ? Après tout, ton cas n’est pas unique. Il n’est même pas rare ; bien des Juifs existent qui n’ont pas d’aptitude pour l’étude ; ils n’en ont pas moins une part dans la Torah, et ce, par le moyen de l’aide financière qu’ils fournissent à ceux qui peuvent étudier à leur place. Songe aux nombreuses mitsvot, aux nombreuses bonnes actions que tu peux accomplir avec l’argent que tu possèdes !

Ces paroles jetèrent la confusion dans l’esprit du pauvre Jacob. Il rentra, sombre et fort soucieux, et mit sa femme au courant des propos que lui avait tenus le père de celle-ci.

– Je t’ai dit mon sentiment là-dessus, répondit-elle. À toi de réfléchir. Sache, en tout cas, que quoi que tu décides, tu me trouveras toujours à tes côtés.

« Je suis décidé ! »

Les quelques jours qui suivirent, Jacob observa un jeûne et pria avec plus de ferveur que jamais. Mais, quand vint le huitième jour, il en était toujours au même point. La lumière ne s’était pas, hélas, faite dans son esprit, et il n’avait pris aucune décision, ni dans un sens ni dans l’autre. Il répéta encore une fois à sa femme les paroles du beau-père, et lui dit que son esprit était si troublé qu’il ne savait à quoi se résoudre.

Tant d’indécision inquiéta l’épouse. Jusque-là, elle n’était pas allée jusqu’au bout de sa pensée. Maintenant elle devait à son mari de lui parler sans détour.

– Pardonne-moi, fit-elle, quelque pénible que puisse être parfois la franchise, je suis sûre que tu m’approuveras de la préférer à tout, surtout dans une circonstance aussi grave. Si tu as des doutes quant à la décision qui s’impose, cela veut dire simplement que tes larmes, tes angoisses même, au sujet de ton inaptitude à étudier la Torah n’étaient pas aussi profondes que tu le croyais. De telles erreurs peuvent se produire. Cherche bien au-dedans de toi. Si ton désir de t’adonner à cette étude était si intense, hésiterais-tu maintenant ?

Ces paroles lucides et franches firent sur l’esprit de Jacob l’effet d’une bourrasque ; comme les nuages qu’un grand vent disperse, ses doutes furent balayés sur-le-champ. Il quitta la maison et marcha d’un pas ferme vers le lieu du rendez-vous dans les bois. Il vit bientôt arriver le Juif qui tenait toujours son bâton et son baluchon. Il lui fit part de sa décision, ponctuant sa déclaration d’un profond soupir qui n’échappa pas à son interlocuteur.

– Peut-être, hasarda ce dernier, n’es-tu pas tout à fait décidé ; il est encore temps de changer d’avis.

– Non, non, répondit Jacob avec force ; et il fit le récit de son entretien avec son beau-père.

– Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il t’a dit, convint l’homme. Ce n’est pas tout que d’étudier ; les actes dépassent en importance les connaissances les plus étendues.

– Mais ma résolution est prise, insista Jacob. Je suis prêt à t’accompagner trois ans durant comme tu me l’as proposé.

Il lui parla ensuite du consentement de sa femme et de la condition qu’elle y avait posée. L’inconnu l’accepta ; il serait leur invité au dernier repas avant que le rétameur renonçât à toutes ses possessions terrestres.

« Hakhnassath or’him »

Tout étant désormais réglé, Jacob emmena le Juif chez lui. Il faut croire que sa femme savait que son invitation serait à coup sûr acceptée, car les deux hommes trouvèrent qu’un véritable banquet les attendait. La nappe des grands jours couvrait la table sur laquelle les chandelles répandaient leur douce clarté. Les mets les plus délicats et les plus fins y étaient disposés.

– Que signifie cette somptueuse réception ? demanda le convive.

– Je ne sais, répondit Jacob, surpris. Ma femme est seule à pouvoir nous l’expliquer.

– Eh bien, fit-elle humblement, j’ai deux raisons à vous donner. Celle qui vient en premier : la mitsva d’Hakhnassath Or’him, surtout que nous n’avons pas souvent l’occasion de recevoir des invités de votre importance ; la seconde : il faut célébrer comme il se doit ce grand témoignage de la bonté divine. D.ieu a tant de manières différentes d’enlever aux hommes ce qu’ils possèdent ! Qu’il le fasse avec nous d’une façon non seulement agréable, mais généreuse aussi, puisqu’il nous donne tant en retour, cela ne mérite-t-il pas d’être dignement fêté ?

Le repas achevé, Jacob et sa femme réunirent tous les objets d’or et d’argent se trouvant dans la maison ; ils y joignirent le montant en liquide qu’ils détenaient et mirent le tout dans un grand sac. Puis, un document fut rédigé, aux termes duquel le rétameur faisait don à l’inconnu de toutes ses propriétés, maisons, champs et terrains, ainsi que les biens meubles. On fit appel à deux voisins qui servirent de témoins et contresignèrent l’acte.

Le lendemain, Jacob se prépara à partir avec son compagnon pour un voyage qui allait durer trois ans. Avant le départ, l’inconnu dit à la femme :

– Étant maintenant seul propriétaire de cette maison, je t’autorise à y vivre avec tes enfants pour la durée de ces trois années, c’est-à-dire jusqu’au retour de ton mari. Tu pourras tirer parti du jardin qui entoure la maison et y faire pousser salades et légumes ; tu profiteras aussi des fruits du verger. Maison, jardin, verger, tout cela vous aidera à subsister.

Et les deux hommes partirent.

Retour de Jacob

Trois années s’étaient écoulées quand la femme et les enfants virent revenir Jacob. Il était transformé. Les connaissances en Torah qu’il désirait tant posséder, il les avait enfin acquises. Il était heureux. L’humilité où l’avait mis la conscience de son ignorance passée, loin de diminuer, s’était accrue, car son compagnon lui avait montré la voie de la bonté et de la sainteté.

On l’aura compris, ce compagnon n’était autre que le Baal Chem Tov en personne.

Jacob et sa famille s’établirent dans un autre village, où lui et sa femme connurent une longue et heureuse vieillesse qu’occupèrent principalement, mais sans que personne autour d’eux le sût, des œuvres charitables de toutes sortes. Le reste du temps, Jacob l’employait à étudier la Torah et la ‘Hassidouth, n’oubliant pas que ce bonheur véritable qu’il connaissait, il le devait à sa femme, à sa sagesse et à la crainte quelle avait toujours eue de D.ieu. Elle avait, en effet, joué un rôle déterminant dans cet épisode, grâce à son courage, son abnégation et la joie avec laquelle elle avait accepté les sacrifices pour l’amour de la Torah et des mitsvot.

Quand le précédent Rabbi de Loubavitch contait cette histoire, il ajoutait que le « Vieux Rabbi », Rabbi Chnéour Zalman, le faisait en la rattachant au Cantique de la Mer, au Cantique de Déborah et au Cantique de David.

Une grande juive

Le Cantique de la Mer (dans la paracha Bechala’h) est lu en deux occasions dans l’année : la première, à Chabbat Chirah quand nous lisons la section hebdomadaire de Bechala’h. C’est le Cantique qu’entonnèrent Moïse et les enfants d’Israël quand ils eurent traversé la Mer Rouge après le merveilleux miracle de Kriath Yam Souf, qui la coupa en deux, leur permettant de passer à sec et ensuite causant, par la réunion soudaine des eaux, la mort des Égyptiens qui, lancés à la poursuite des Israélites, y furent engloutis. La Haftarah est alors le Cantique de Déborah ; la seconde occasion nous est fournie par le septième jour de Pessa’h.

Et le « Vieux Rabbi » expliquait : quand les enfants d’Israël eurent traversé la Mer Rouge, Miriam et toutes les femmes juives inspirèrent le peuple en jouant de leurs tambourins et en dansant de joie. C’est grâce à elles que nos ancêtres furent délivrés du joug égyptien. C’est pourquoi, dans le premier cas, la Haftarah est le Cantique de Déborah, en l’honneur d’une autre grande femme juive : la prophétesse Déborah.

Et quand le Tséma’h Tsédek contait cette histoire, il ajoutait : le septième jour de Pessa’h nous rappelle la Rédemption finale à venir, par l’intermédiaire de notre juste Machia’h qui sera un descendant de David. C’est la raison pour laquelle à la seconde occasion nous lisons la Haftarah du Cantique de David. (Fr Chabad.org)

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Le miroir Que doit-on y voir ?

_____________________________________________________Une histoire de Nissan Mindel

Dans une petite ville vivait autrefois un Juif qui était réputé pour sa grande hospitalité. Il s’appelait Reb Abraham. Reb Abraham était loin d’être un riche, mais cependant, il tenait à partager sa dernière bouchée avec n’importe qui : un émissaire d’une yéchivah chargé de ramasser des fonds et de passage dans la petite ville, un mendiant ou un hôte quelconque. Tout le monde savait que la maison de Reb Abraham restait toujours les portes grandes ouvertes. Quiconque avait faim était sûr d’y trouver un repas, un endroit pour passer la nuit et même une aumône respectable.

Un jour, un hôte de marque lui rendit visite. C’était son propre professeur d’antan, Rabbi Yechaïelé, qui jouissait d’une renommée de grande sagesse.

Le Tsadik fut très content de contempler le mode de vie menée par Reb Abraham, sa largesse et sa franche hospitalité. Il ne manqua pas de s’apercevoir très vite que les libéralités de Reb Abraham dépassaient de loin la mesure, puisqu’il rendait à autrui ses derniers deniers tandis que lui-même et sa famille se contentaient d’une croûte de pain pour pouvoir pratiquer l’hospitalité de façon généreuse.

Aussi, avant de partir, le Tsadik le bénit en lui souhaitant que D.ieu le rende prospère afin qu’il puisse continuer à pratiquer l’hospitalité, mais dans l’abondance.

Peu de temps après, Reb Abraham s’aperçut que la bénédiction du Tsadik portait ses fruits. Sa modeste épicerie lui fit réaliser des bénéfices énormes et quasi miraculeux. Il devint un grand brasseur d’affaires et, là encore, la chance lui sourit. En un mot, Reb Abraham était devenu riche et prospère.

Mais la richesse constitue une épreuve et Reb Abraham ne s’aperçut pas immédiatement de cette embûche. Peu à peu, sans savoir comme il y était parvenu, le temps commença à lui manquer pour étudier la Torah et pour faire ses prières ainsi qu’il avait jadis l’habitude de le faire. Finalement, il ne trouva même pas de temps pour s’occuper des pauvres, des gens de passage, et des émissaires des yéchivoth chargés de ramasser des fonds pour leurs établissements. Ce genre d’affaires, ses serviteurs furent chargés de s’en occuper. Être reçu par Reb Abraham lui-même était chose presque impossible. Il restait toute la journée dans ses bureaux, en homme occupé qu’il était, entouré de marchands, de riches et d’une cohorte d’employés.

Il est vrai qu’on pouvait encore obtenir de lui une somme rondelette en guise de contribution pour une bonne œuvre par l’intermédiaire de son secrétaire particulier. Mais il y manquait l’ancienne amabilité, et l’empressement d’autrefois. Quant à l’hospitalité proprement dite, c’est-à-dire la possibilité de manger à sa table ou de passer la nuit dans sa maison, n’en parlons plus.

Les gens disaient bien que le généreux Reb Abraham n’était plus ce qu’il était autrefois. C’est que la richesse lui avait tourné la tête et durci le cœur. C’était d’autant plus dommage qu’il était autrefois si généreux, si aimable, si hospitalier.

II

Entre-temps survint une affaire de rançon qui devait être payée en échange de prisonniers, et le Tsadik délégua un émissaire chargé de la mission de faire la quête pour obtenir la somme nécessaire. Il recommanda tout particulièrement à son émissaire de ne pas manquer de rendre visite à Reb Abraham, d’essayer d’obtenir de lui une somme importante et de voir en général comment il allait et de quelle façon il se conduisait dans sa situation élevée.

Le rapport sur Reb Abraham fait par l’émissaire à son retour ne manqua pas de causer au Tsadik un chagrin très vif. « Que ma bénédiction, pensa-t-il, soit la source, D.ieu nous en garde, d’une telle déchéance, voilà qui est attristant. Aussi dois-je m’efforcer d’y porter remède. » Cette décision prise, il se mit aussitôt en route, et il ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint la petite ville où habitait Reb Abraham.

Arrivé à la grande et belle maison de Reb Abraham, le Tsadik envoya son serviteur annoncer sa visite.

Le serviteur du Tsadik eut beaucoup de mal à transmettre son message. Il fut accueilli tout d’abord par plusieurs serviteurs, un placé plus haut que l’autre, et chacun exhibant un autre prétexte pour lui barrer l’accès à Reb Abraham lui-même. Selon l’un, Reb Abraham n’était pas à la maison, selon l’autre, Reb Abraham n’était pas encore levé, un troisième prétendit que Reb Abraham était en train de boire son café, tandis que le quatrième prétendait que le maître ne recevait que l’après-midi.

Ne pouvant lui-même voir le magnat, le serviteur du Tsadik demanda qu’on annonce à Reb Abraham la venue de Rabbi Yechaïelé et que celui-ci désirait le voir sans tarder.

Ayant appris le nom du quémandeur, Reb Abraham se dépêcha et sortit dans la cour où son ancien professeur, dans sa voiture, l’attendait. Il le salua respectueusement et lui demanda de lui faire le grand honneur d’être son hôte.

III

Le Tsadik accepta l’invitation et entra dans la maison de Reb Abraham. Il fut ébloui par la richesse de l’intérieur, mais il eut beau chercher partout un de ces hôtes de passage qui remplissait autrefois la maison.

Le visage du Tsadik s’assombrit. Il s’approcha de la fenêtre et laissa errer ses yeux dehors.

Quelques minutes après, il invita le maître de maison à la fenêtre et lui demanda : « Dis-moi, qui donc passe là ? »

– Mais c’est Yankel le tailleur, répondit Reb Abraham. Il vient de la synagogue. C’est un Juif honnête, mais il est malheureusement très pauvre…

– Et qui est cette personne ?

– C’est une veuve très pauvre. Elle fait les marchés en quête d’un gagne-pain pour nourrir ses nombreux orphelins. C’est une grande pitié…

– Et qui est celui-ci encore ? demanda à nouveau le Tsadik.

– Mais c’est Bentzé, le porteur d’eau, répondit Reb Abraham, tout étonné de l’intérêt que son Rabbi portait aux passants.

Le Rabbi tourna le dos à la fenêtre et se mit à arpenter le salon à grands pas. Soudain, il fit halte devant un grand miroir suspendu au mur. Il fit signe à Reb Abraham de l’approcher et se mettant à côté lui posa la question que voici :

– Qui vois-tu dans ce miroir ?

– Mais je m’y vois moi-même, répondit Reb Abraham, surpris de cette étrange question.

– Dis-moi, Reb Abraham, sais-tu de quoi un miroir est fait ?

– Il est fait de verre, répondit Reb Abraham.

– Et la fenêtre ?

– Aussi de verre.

– Je ne comprends plus rien, dit le Rabbi, avec une feinte naïveté. Ceci est du verre, et cela est du verre. Mais pourquoi à travers le verre de la vitre tu vois tout le monde, mais dans le miroir tu ne vois que toi seul ?

– C’est très simple, répondit Reb Abraham. Le verre de la vitre est pur et clair : c’est pourquoi il est transparent. Mais le verre du miroir est argenté de l’autre côté. C’est la raison pour laquelle on ne se voit que soi-même.

– Si c’est ainsi, je comprends tout, maintenant, répondit le Rabbi. Lorsque ce n’est pas couvert d’une couche d’argent, on voit tout le monde. Mais si c’est argenté, alors on ne voit que soi-même. Oui, oui, c’est étrange, mais voyons. On pourrait peut-être enlever cet argent, le gratter, n’est-ce pas, mon bon ami ?

– Mais oui, bien sûr…

Reb Abraham ne termina pas sa phrase. Il avait saisi ce que son Rabbi voulait dire, et des larmes apparurent dans ses yeux. Il comprit qu’avant d’avoir été « argenté », avant d’être riche, il était comme un verre pur et il pouvait voir tout le monde. Mais maintenant, il ne voyait que lui-même. Oui, il s’était égaré, il n’avait pas résisté à l’épreuve.

Un profond sentiment de regret le saisit et, d’une voix brisée, il demanda à son hôte :

– Rabbi, le repentir peut-il m’être encore de quelque utilité ?

– Mais oui, c’est pour te faire repentir que je suis venu te voir. Je ne voulais pas croire que tu aies pu te transformer à tel point. J’ai nourri l’espoir que ton cœur ne s’est pas durci comme la pierre et qu’il ne sera pas nécessaire de t’enlever ta richesse, de gratter ton argent de toi,

Reb Abraham promit solennellement de faire un retour sur lui-même et de redevenir aussi hospitalier, aussi généreux qu’autrefois. Sa maison resterait à nouveau ouverte à tous ceux qui pourraient avoir recours à son aide.

Le lendemain, il organisa un grand banquet – dit « Séoudath Mitsva » – pour marquer son retour dans la bonne voie, banquet auquel il invita tous ses vieux amis, c’est-à-dire tous les pauvres de la ville. Il leur confessa son inconduite et leur annonça son repentir en leur demandant pardon.

Afin de se rappeler toujours les paroles de son Rabbi, Reb Abraham gratta un coin du miroir et en enleva l’argent. Désormais, en jetant un coup d’œil dans ce coin du miroir, Reb Abraham ne s’y refléta plus tout seul… Et lorsque quelqu’un lui demandait la signification de la tache dans le miroir, Reb Abraham, en toute franchise, lui racontait l’histoire de son repentir. (Fr Chabad.org) Extrait de « Conversations avec les jeunes »

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