»Aucun enfant du camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) n’est revenu d’Auschwitz », Madeleine Reiman-Testyler / Être juif après Auschwitz,par André Neher

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Le devoir de mémoire, Madeleine Reiman-Testyler, survivante de la Shoah, en est pleinement consciente. Israélienne depuis quatre ans maintenant elle a pris l’initiative d’appeler Guysen pour témoigner à l’occasion de la journée de commémoration de la Shoah. Fillette au moment de la guerre, elle nous a raconté ses souvenirs et la façon dont elle a échappé aux camps de la mort.
« Je dois ma vie à un coup de téléphone », a-t-elle mystérieusement commencé à nous expliquer. Âgée de huit ans aux premières heures de la guerre, elle habitait Paris avec ses parents et sa soeur Arlette, sa cadette de seize mois. Juif polonais, son père a été convoqué dès 1941 par les « billets verts ». Ces billets ont appelé 6 494 Juifs polonais, tchécoslovaques et ex-autrichiens à se présenter dans différents centres éparpillés dans Paris. Au total 3 747 se sont présentés et ont été envoyés à Beaune-la-Rollande et à Pithiviers.

Répondant à ce qu’il pensait être de son devoir de citoyen français, le père de Madeleine Reiman s’est rendu au centre le plus proche, duquel il a été emmené vers une destination inconnue. Après le départ de son père, la petite fille et sa soeur ont été placées en nourrice dans le Loiret. Elles ont été placées chez le gardien du camp de Pithiviers, Emile Schismacher, afin que leur mère puisse se consacrer à son travail de fourreur.

Six mois avant la Rafle du Vélodrome d’Hiver, une de leurs amies avait conseillé à leur mère de donner les machines aux Allemands et de travailler pour eux en échange de la libération de son mari.

« Nous sommes revenues à Paris pour les grandes vacances et ma mère, ma soeur et moi attendions toujours des nouvelles de mon père. Je me souviens très bien de cette nuit-là (celle du 16 juillet 1942, date de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, ndlr). Des gendarmes français sont entrés dans la maison, ils ont commencé à hurler et à jeter les meubles par terre. Ils ont demandé à notre mère où était papa, elle leur a répondu qu’il n’était pas là. ‘Très bien, alors faites vos bagages et venez avec nous’, lui a répondu l’officier. Maintenant ils emmenaient aussi les femmes et les enfants. Ma mère s’est alors mise à crier en leur expliquant qu’elle avait donné ses machines à une usine et qu’ils avaient promis qu’ils libéreraient papa. Elle a alors pris le téléphone – vous savez, c’était rare d’avoir un téléphone à cette époque – et a appelé l’usine pour leur expliquer, mais ils nous ont quand même emmené avec ma mère et ma sœur », se souvient-elle.

« Nous nous sommes donc retrouvées au Vél d’Hiv avec tous ceux qui avaient été arrêtés. Alors que nous étions dans la foule, ma mère a entendu que le premier convoi partait pour Pithiviers. Espérant retrouver le gardien, elle nous a porté volontaires pour y partir », a-t-elle continué. La Rafle du Vélodrome d’Hiver est l’arrestation la plus massive de Juifs de la Seconde guerre mondiale. Orchestrée par les Allemands, avec la large collaboration des Français, elle a représenté à elle seule plus du quart des 42 000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942.

« Une fois que nous sommes sorties du convoi, nous nous sommes rendues compte que celui-ci n’allait pas à Pithiviers mais à Beaune-la-Rollande. Nous y sommes restées une semaine et nous avons reçues une lettre avec un certificat de libération. Le coup de téléphone que ma mère avait passé lors de l’arrestation nous a sauvé. Nos autorisations nous permettaient de circuler après le couvre-feu mis en place pour les Juifs. À Beaune, Je me souviens très bien qu’un petit garçon dormait dans le lit à côté de moi et lorsque nous allions partir, ma mère a demandé à la mère du petit garçon de nous le donner pour qu’il puisse partir avec nous mais elle n’a pas voulu. Elle lui a dit qu’elle avait entendu qu’ils épargnaient les enfants, mais finalement aucun enfant de Beaune parti pour Auschwitz n’est revenu ».

À leur libération, Mme Reiman et ses filles sont parties pour Vendôme où elles sont restées cachées jusqu’à la fin de la guerre. « J’allais à l’école, mais je ne parlais pas aux autres enfants: c’était la consigne. Nous avons survécu à la guerre mais maman est morte quelques mois après la libération. Cependant elle a eu le temps de témoigner au cours des procès en faveur du gardien de Pithiviers chez qui nous avions été en nourrice avec ma soeur. Mais papa n’est jamais revenu. Au cours d’un voyage à Auschwitz, j’ai appris qu’il y était mort en 1942 », nous a-t-elle exposé.

Après la guerre, Madeleine Reiman a repris la profession de ses parents : elle est devenue fourreur. Passionnée par la peinture et la sculpture elle tenait souvent des expositions en France. Aujourd’hui, elle vit en Israël où elle a développé son talent et s’est pleinement consacrée à la peinture.

« J’ai décidé de parler il y a peu de temps. Les enfants français cachés, ceux qui n’étaient pas allés à Auschwitz, on n’en parlait pas. On se sentait délaissés parce que cela n’avait l’air d’intéresser personne. Mais quand je vois que cette bête immonde (l’antisémitisme, ndlr) revient, je pense que nous devons faire quelque chose. Il y a suffisamment d’individus qui tiennent des propos négationnistes pour nous montrer que nous devons témoigner. Dans quelques années il n’y aura plus personne pour témoigner, il ne restera que les livres c’est la raison pour laquelle je me suis décidée à témoigner », a-t-elle conclu.

Propos recueillis par Roxane Tran-Van   (Source Guysen International News)

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A. Neher
Le Professeur Rav Achér Dov André Neher
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Être juif après Auschwitz, par André Neher

Etre juif après Auschwitz, cela signifie d’abord Etre. Exister d’une existence qui aurait dû être l’Etre de six millions de Juifs, mais dont on les a criminellement frustrés – et pourquoi ne m’a- t-on pas assassiné, moi ? Pourquoi, moi, ai-je survécu ?

Le sentiment de la survivance dépasse le fait brut d’être. Par le dépôt de survie en moi, je suis le porte-parole, et le porte-silence, de six millions d’hommes dont le rêve étranglé peut renaître à l’avenir à travers ma présence à moi, Juif dont la vie à l’heure actuelle est, en soi, une preuve de l’échec d’Hitler. Premier dépôt d’une infinie responsabilité.

Vient s’ajouter à ce fait d’être, le fait d’être après. Quiconque dit après, s’affirme rattaché par une chaîne incassable à un avant. Cet avant colle à moi dans cette grande, inépuisable source de responsabilité qui s’appelle Souvenir. Je porte avec moi un monde qui fait partie de mon moi, qui le dédouble. Il en est l’ombre, le compagnon, la hantise, la leçon. Le passé me harcèle mais aussi m’oriente. Contrairement à la femme de Lot, c’est lorsque je ne me tourne pas vers ce passé que je deviens statue de sel. Mais en le faisant vivre en moi, je marche vers l’avenir.

Marcher vers l’avenir, qu’est-ce que cela signifie après Auschwitz ? Cela signifie d’abord qu’il y a un avenir. Constatation paradoxale après Auschwitz. Car Auschwitz, n’est-ce pas le néant, la fin de l’histoire, l’abîme sans fond et sans lendemain ? Or, marcher vers l’avenir, c’est dire oui à un lendemain, à la chaîne ininterrompue des lendemains qui, sans oublier Auschwitz ni lui tourner le dos, accueillent les Juifs d’aujourd’hui dans la continuité de leur histoire.

Mais, fait remarquable : ce lendemain n’est pas seulement une notion temporelle, une durée à laquelle, par son existence chaque Juif participe aujourd’hui. Ce lendemain a aussi une signification spatiale et géographique. C’est Israël, l’Etat d’Israël, la Terre d’Israël. Chaque Juif peut participer (et puisqu’il le peut, il le doit) après Auschwitz à l’avenir d’Israël, qui ne garantit pas seulement des lendemains, mais les lendemains des lendemains, je veux dire : l’Eternité, Nezah Israël..

Judaisme alsacien http://judaisme.sdv.fr –  Extrait de : Regards sur une tradition, pp. 15-16, Ed. Bibliophane, 1989 (Source : Terre Promise)

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