Les miliciens du Grand-Bornand

« Près du village du Grand-Bornand, depuis 1944, trône une étrange nécropole. C’est le « cimetière des miliciens », qui n’ose pas dire son nom. Si bien que les promeneurs croient y voir un hommage à la Résistance ! « Tous ces jeunes gars qui ont donné leur vie pour notre liberté ! », soupire Chantal. L’aimable retraitée audoise visite la Haute-Savoie, avec son mari Ben. Au Grand-Bornand, le hasard les a guidés jusqu’au bois de la Pezerettaz. Comme tant d’autres promeneurs…

Ici, se dresse un cimetière aux faux airs de carré militaire. Cinquante croix blanches sont impeccablement alignées… Pas d’autre mention que le nom des défunts, leur date de naissance et l’année de leur mort : 1944. Pourquoi en dire davantage ? Chantal et Ben, ce matin de juin, croient ainsi honorer la mémoire des maquisards. Le couple se recueille, en fait, sur les tombes de miliciens haut-savoyards.

Ils étaient 76, jugés et fusillés pour « trahison » alors que le département se libérait du joug nazi. On les a enterrés sur place…Puis une chape de silence a tout recouvert. Les faits sont connus, pourtant : le 18 août 1944, une centaine de miliciens se trouvent cantonnés à Annecy. Pour eux, la bataille est perdue. Ils ont le choix entre se rendre ou partir avec les « Boches » chassés du département par le maquis. Ils se rendront, contre la promesse d’un procès équitable. Livrés à la foule qui réclame vengeance, leur sort eût été vite scellé…

Encadré par la Résistance, un convoi s’organise qui les mène au Grand-Bornand, siège des FFI. Dans la salle des fêtes du village, les 23 et 24 août, une cour martiale va les juger… » (Le Dauphiné libéré : 29 juin 2012).

Quand il m’arrive d’évoquer mes amis, mes amis véritables, pas mes copains, mes « potes », mes relations mondaines et/ou professionnelles, je dis souvent qu’ils se comptent sur les doigts des deux mains : une dizaine, rarement plus, car la camarde en fauche deux ou trois, parfois plus, chaque année. Il arrive – mais c’est très rare – que certains me déçoivent ou me trahissent. Et pourtant on pourrait croire que leur nombre est « auto-stable », qu’il se régule seul, un peu comme l’économie quand elle n’est pas confiée à des irresponsables, des incapables, des aigrefins ou des voyous.

J’en ai eu la démonstration tout récemment, à la suite de plusieurs articles dans lesquels je rendais hommage à TOUS nos combattants, y compris ceux de la « Légion des Volontaires Français » et de la « Division Charlemagne », où je racontais les purges commises par les FTP communistes en 1944-45. Des articles qui vont à l’encontre de la doxa officielle et qui dénoncent les mythes fabriqués par les vainqueurs à la Libération. Des sujets « historiquement incorrects ».

À la suite de ces articles – qui se voulaient objectifs et documentés – un quidam, que je prenais pour un ami, m’a demandé de rayer son nom de ma boîte mail car « étant gaulliste, petit-fils de résistant » il ne tolérait pas qu’on puisse « excuser les complices de la barbarie nazie ». Dont acte ! Mais après tout, quelqu’un qui ne tolère pas la vérité historique, la liberté d’expression et la pluralité d’opinions ne mérite pas de faire partie de mes amis. Je ne saurais lui en faire grief ; je me suis trompé, un point c’est tout !

Perdant un pseudo-ami (dont je ne porterai pas le deuil), j’en ai trouvé deux autres qui m’ont félicité d’oser rendre hommage aux oubliés de l’histoire, à ces combattants sur lesquels on crache depuis des années et dont le seul tort est d’avoir mal choisi leur camp en voulant servir la France.

Au début de ma vie active, postulant comme élève-inspecteur d’assurance IARD(1), j’ai passé des tests psychotechniques. Le monsieur, distingué et d’âge mûr, qui me faisait passer ces épreuves m’a déclaré que j’avais, entre autres, « un sens exacerbé de la justice ». Comme je lui demandais si c’était un défaut ou une qualité, il m’a répondu : « Les deux. Pour votre employeur c’est un gage de loyauté, mais pour vous c’est un défaut : certaines situations vous feront souffrir et vous ne vous ferez pas que des amis… »

Cet homme avait raison : la loyauté, la fidélité, la pudeur, la dignité, le panache, sont des concepts désuets, dépassés, d’un autre âge. Notre époque ramollie et décadente préfère la démagogie, la veulerie, le consensus mou et le « mentir-vrai ». Les tribunaux de la bien-pensance jugent toujours dans le même sens ; leurs juges sont partiaux, leurs procureurs sont des inquisiteurs et leurs avocats plaident toujours à charge. Ces gens-là ne cherchent pas la vérité, ILS SONT la vérité et quiconque n’est pas de leur avis à forcément tort. Il faut donc le condamner lourdement.

 « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », déclarait le Conventionnel Louis Antoine de Saint-Just, « l’Archange de la Terreur », l’ami de Maximilien Robespierre, ce fou sanguinaire qui finira sur le « rasoir national » le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Notre époque, par son intransigeance et ses excès, me rappelle étrangement la Révolution. Certes, on a remisé la guillotine depuis 1981, mais on pratique encore la délation, la dénonciation calomnieuse, la condamnation et la mort civique de celui ou celle qu’une nouvelle « loi des suspects » aura désigné à la vindicte populaire.

Connaissant ma passion pour l’histoire, un ami – aussi marqué à gauche que je le suis à droite – m’a offert un exemplaire du Nouvel Obs consacré à la Libération (2). Cet hebdo engagé est un morceau de bravoure, la quintessence du « politiquement correct », l’illustration du « mentir-vrai ». Il nous parle des minorités présentes lors du débarquement ; du rôle des femmes dans la Résistance ; de la libération de Vichy ; de la Résistance qui « rêvait d’Europe » ; de De Gaulle lors de la libération de Paris ; des maquisards allemands opposés aux nazis ; des soldats américains « gays » ; des pauvres soldats noirs accusés (injustement parfois ?) de viols (3)…etc… C’est tendancieux, approximatif, mais tout y est : les minorités, les femmes, les LGBT, et les antifascistes. La Libération revisitée à la sauce socialo-progressiste.

Accessoirement, car tout n’est pas faux ou exagéré dans ce canard, je lis : « À la Libération, les Américains capturent des centaines de milliers d’Allemands (la France en compte jusqu’à 700 000)…Utilisés après-guerre pour reconstruire un pays dévasté, les prisonniers travaillent dans les ports, les usines, ou comme ouvriers agricoles. Ils auraient représenté 25% de la main-d’œuvre nécessaire à la relance de la France…34 000 d’entre eux sont morts notamment dans les opérations de déminage opérées en contravention avec les Conventions de Genève… » 

Mais ceci ne semble pas émouvoir le narrateur. Un autre article nous parle, très brièvement, de l’affaire des miliciens du Grand-Bornand. Un court extrait du Dauphiné libéré y fait référence en entête de mon article. N’attendons pas la moindre pitié, la moindre indulgence, la moindre indignation de la part du Dauphiné libéré, journal issu, comme son nom l’indique, de la Libération, pas plus que du Nouvel Obs qui est le journal officiel de la gauche morale, mais on pourrait suggérer aux auteurs un minimum de neutralité et d’objectivité à défaut d’honnêteté intellectuelle.

Il se trouve que j’ai consacré quelques pages à cette affaire sordide dans un de mes livres (4). Les faits, racontés sans passion partisane, sont les suivants : le 19 août 1944, une centaine de Francs-gardes de la Milice, sachant la guerre perdue pour eux, se rendent à la Résistance. Ils avaient négocié leur reddition, durant la nuit précédente, contre la promesse d’être traités en prisonniers de guerre et que la vie sauve serait accordée à leurs familles ainsi qu’à eux-mêmes.

Emprisonnés, torturés, ils furent soumis à une parodie de procès orchestrée par des FTP. Ce simulacre de procès débute alors que l’homme qui fait office de greffier, qui a rejoint la Résistance quelques jours plus tôt, a déjà commandé … 75 cercueils. Dans la nuit du 21 août, 76 miliciens sont condamnés à mort…Deux jours après, ils sont conduits dans le bois de La Pezerettaz, à quelques kilomètres du village du Grand-Bornand, où ils sont fusillés. Tous affrontèrent bravement la mort.

Comme le raconte Maurice Bardèche : « Le plus âgé avait combattu à Verdun. Le plus jeune venait d’avoir seize ans. » Âgé de 16 ans et un mois, il n’avait jamais été milicien ; il était venu trouver refuge avec sa famille, menacée par les communistes, auprès de la Milice. Il a été fusillé avec ses deux frères, âgés de 17 et 19 ans…

L’un des miliciens, Aristide Challamel, 23 ans, a écrit à sa mère le 24 août 1944 : « Cette lettre est la dernière que je vous envoie. La Milice s’est rendue honorablement et les conditions de notre reddition n’ont pas été respectées par le vainqueur. Je viens de passer devant la Cour martiale et je suis condamné à la peine capitale. La sentence est exécutable dans quelques jours.

Je ne regrette rien car j’ai juré de donner ma vie pour mon pays que j’aime et pour lequel j’ai tout fait…Je suis heureux de mourir car je ne pourrais pas vivre dans le monde qui s’instaure. Pendant ces cinq jours, j’ai subi tout ce qu’il est possible d’imaginer. J’ai senti cette haine qui nous entoure et il m’est impossible de concevoir mon pays dans un semblable état d’esprit. L’avenir vous dira si j’ai eu raison…Sachez que je meurs pour la France…avec le sourire… »

Le milicien Jacques de Holstein écrivait le 23 août, à son fils Jean-Pierre : « Mon petit Jean-Pierre, Nous passons tout à l’heure en Cour martiale. Nous avons été faits prisonniers le 18, après que l’assurance formelle nous ait été donnée que nous serions traités honorablement, que nous et nos familles aurions la vie sauve. Or aucun de ces engagements n’a été respecté. Je préfère être fusillé que d’être conservé à la disposition de la folie de la foule…

Quant à moi je suis en règle avec ma conscience, je n’ai rien à me reprocher sinon de vous avoir entraînés, ta maman et toi dans cette terrible aventure. Je te demande de conserver mon souvenir au fond de ton cœur. Je te demande de ne pas oublier que j’avais envisagé toutes les conséquences que le fait d’être milicien pouvait entraîner…Dis-toi que ma conviction politique était puissamment étayée et rappelle- toi que ton père a sacrifié sa vie à maintenir son idéal. Ce sera le seul héritage que tu tiendras de moi…Je t’embrasse mon pauvre chéri, travaille, grandis, ne m’oublie pas… »

De cette affaire, qui ne grandit pas la Résistance locale, lisons ce que dit Dominique Venner dans son Histoire de la collaboration : « Au matin du samedi 19 août 1944, les miliciens savoyards incorporés dans la Franc-garde, quittent leur cantonnement annécien de «  la Commanderie » par la route d’Albertville…Dans la nuit, leurs chefs départementaux, Yves Barbaroux et Jacques Chambaz, ont rencontré les chefs de la Résistance : les Francs-gardes se rendent avec les honneurs de la guerre, ils conservent leurs armes et seront traités en prisonniers de guerre. A Saint-Jorioz, au milieu d’un grand rassemblement de maquisards (toute résistance étant alors impossible), les Francs-gardes sont désarmés, à l’exclusion des chefs qui conservent leur pistolet…

Pressentant sans doute la suite des événements, le Franc-garde Lambotin se tire une balle dans la tête. Les captifs sont poussés dans des camions et sous bonne garde, par Faverges et Thones, conduits au Grand-Bornand. Là, ils sont entassés jusqu’au grade de chef de dizaine, sous les combles de la salle paroissiale, les officiers, toujours en possession de leurs armes, sont conduits dans une pièce au 2e étage…

Après des sévices qu’il est inutile de retracer, c’est dans la salle de cinéma, au rez-de-chaussée que commence, au milieu de la matinée du mercredi 23 août, la comparution des Francs-gardes devant une Cour martiale qui a fixé elle-même sa procédure et que préside un commandant FTP… Le procureur et le greffier sont eux aussi des résistants. Enchaînés, gardés par des gendarmes, les miliciens sont appelés dix par dix et brièvement interrogés. Parfois, des résistants témoignent, puis le procureur requiert une peine… La mort en général.

Pour donner à cette procédure une apparence de régularité, quatre avocats d’Annecy, commis d’office, tentent d’improviser une défense… La Cour siège sans désemparer jusqu’au matin du jeudi 24 août… Après une ultime plaidoirie, l’arrêt est rendu : 76 condamnations à mort, 21 « acquittements » (qui vaudront à leurs bénéficiaires l’emprisonnement et une nouvelle comparution devant une Cour de justice au cours des mois suivants…).

Il est 8 h lorsque les camions emmenant les condamnés quittent la salle paroissiale pour le hameau du Bouchet au lieu-dit « La Peserettaz »… Cinq par cinq, les prisonniers vont vers les poteaux plantés à la lisière de la forêt…Ils refusent le bandeau et tombent sous la salve en clamant leur foi, en ce jeudi 24 août. Ils étaient français. La plupart d’entre eux, chrétiens convaincus, étaient des paysans issus de la terre savoyarde qu’ils aimaient… Le plus âgé avait combattu à Verdun… le plus jeune venait d’avoir 16 ans… »

Dans notre pays, « état de droit », chantre des « droits de l’homme », donneur de leçons de démocratie et défenseur des libertés individuelles, on a coutume de dire qu’on ne commente pas une décision de justice (aussi expéditive soit-elle !) Eh bien si ! Au Grand-Bornand, l’exécution, après des engagements non tenus et un simulacre de procès, de 76 miliciens est un crime de guerre ; un de ces nombreux crimes imputables aux communistes ; crimes odieux que le « camp des vainqueurs » s’ingénie à taire depuis 80 ans. A taire, ou pire, à justifier ou à légitimer.

Je vais sans doute me faire (encore) agonir par les bienpensants mais tant pis ! J’ai le droit de penser, et de dire, que la guerre est une « barbarie », pour reprendre le vocable à la mode, mais que tous les salauds ne sont pas forcément dans le même camp. Chaque belligérant possède son quota de lansquenets et de soudards ; ses héros, ses lâches, ses traîtres et ses bourreaux.

Et puis, j’attends toujours – sans y croire – un « procès de Nuremberg » du communisme avec ses 100 à 150 millions de morts. Je ne supporte pas les leçons de morale des admirateurs de Staline, de Mao Zedong, de Pol-Pot ou de Fidel Castro ; de ces gens qui voient des fascistes partout. J’attends aussi que les dirigeants de notre pauvre France – si prompts à battre NOTRE coulpe et à faire repentance pour la colonisation, l’esclavage, le suprématisme blanc, etc… – condamnent aussi la Terreur, le « populicide » vendéen (5), les crimes de l’épuration, l’abandon de nos Harkis et quelques autres massacres oubliés.

Eric de Verdelhan

1)- IARD = Incendie, Accidents et Risques Divers.

2)- Le Nouvel Obs  N° 3109 du 2 mai 2024.

3)- En France, parmi les 191 soldats accusés de viol, 139 étaient noirs or seulement 10% des soldats américains en Europe étaient afro-américains.

4)- Mythes et Légendes du Maquis, publié aux éditions Muller en 2020.

5)- Le mot est de Gracchus Babeuf. Personnellement je parle de génocide.

Source : RIPOSTE LAÏQUE – Les miliciens du Grand-Bornand

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